Accéder au contenu principal

“Paradise is Burning” de Mika Gustafson



Paradiset brinner Film suédo-italo-dano-finlandais de Mika Gustafson (2023), avec Bianca Delbravo, Dilvin Asaad, Marta Oldenburg, Mitja Siren, Safira Mossberg, Ida Engvoll… 1h48. Sortie le 28 août 2024.



Mitja SirenDilvin Asaad et Safira Mossberg



Dans une région ouvrière de Suède, trois sœurs pas vraiment tchékhoviennes vivent leur quotidien en se serrant les coudes depuis que leur mère les a abandonnées à leur sort. Jusqu’au jour où les services sociaux finissent par s’aviser de cette situation préoccupante et où les gamines se voient contraintes de recourir à une génitrice de substitution pour duper l’administration et continuer à vivre dans l’insouciance relative du cocon qu’elles ont tissé en marge des conventions sociales en usage. Paradise is Burning marque les débuts dans la fiction de la documentariste Mika Gustafson sur le registre classique du film d’apprentissage. La réalisatrice suédoise y dépeint des mineures contraintes par les événements de monter en graine et d’assumer, au moins pour l’aînée, des responsabilités légalement dévolues aux adultes, en se jouant des règles sociales en vigueur. Avec en filigrane une sororité souriante qui repose sur des personnalités hors du commun aux prises avec un quotidien plutôt chagrin. En bref, des gamines contraintes de grandir à l’accéléré afin d’échapper à la tutelle des adultes, sans renoncer pour autant aux plaisirs de leur âge et à cette insouciance qui le caractérise. Le film prend ainsi ses distances avec le naturalisme pour montrer cette étape cruciale de l’existence comme une sorte de paradis non pas perdu mais plutôt en fusion, tant ce qui s’y joue s’avèrera déterminant pour la suite.



Dilvin Asaad



Ce portrait de groupe sur fond de sororité fait écho à de nombreux films sortis ces derniers mois dans lesquels des gamins s’émancipent pour combler les lacunes de ceux qui sont sensés les élever, à tous les sens du terme. Constat accablant d’une faillite collective qui entérine la prise de pouvoir d’une génération victime de l’impéritie et de l’incurie chroniques de ses aînés immatures et démissionnaires. Ce conte moral peut aussi être interprété comme une célébration de l’insouciance à travers trois personnages féminins entre enfance et adolescence qui célèbrent la liberté et l’audace sous le signe de la bonne humeur, face à la rigueur d’un système arc-bouté sur des conventions inadaptées parce que trop coupées du réel. Ce paradis qui brûle, c’est aussi le premier acte de la fin de l’innocence. L’originalité de la réalisatrice et de son coscénariste Alexander Öhrstrand a consisté à imaginer certaines scènes voire ces grands absents que sont les parents de cette tribu pour mieux les faire disparaître ensuite, sous formes d’ellipses habiles et de pointillés suggestifs. Le point de vue est en effet celui des filles et leur regard celui qu’elles portent sur cette liberté propice à leur épanouissement qui leur assurera de merveilleux souvenirs pour le reste de leur existence, quel que puisse être leur destin. C’est tout le charme de ce film de tout miser sur la suggestion en s’appuyant sur la fraîcheur préservée de ses jeunes interprètes, comme des poissons dans l’eau trouble d’une vie qui n’est pas de leur âge, avec les aînées pour protéger la benjamine.

Jean-Philippe Guerand



Dilvin Asaad et Bianca Delbravo

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract