Film indo-franco-américano-norvégien de Shuchi Talati (2023), avec Preeti Panigrahi, Kani Kusruti, Kesav Binoy Kiron, Jitin Gulati, Kajol Chugh, Nandini Verma, Devika Shahani, Akash Pramanik, Aman Desai, Sumit Sharma, Pratap Singh, Pradeep Kapoor, Neeraj Varma, Ved Amrita, Ahana Malla, Megha Aggarwal, Chiraag Behl, Jatin Sehgal… 1h58. Sortie le 21 août 2024.
Un souffle novateur semble agiter le cinéma indien. La seule alternative locale à Bollywood a longtemps été constituée par les héritiers de Bimal Roy, Satyajit Ray et Ritwik Ghatak, des auteurs purs et durs qui payaient leur indépendance de conditions de production souvent spartiates, mais reflétaient les contrastes et les paradoxes de leur société. Au lendemain de leur émancipation de l’empire britannique. Affleure aujourd’hui une nouvelle génération composée de réalisatrices à l’écoute du monde en général et de leur pays en particulier. Deux d’entre elles figuraient en bonne place parmi la sélection officielle cannoise : Sandhya Suri (Santosh) et Payal Kapadia (All We Imagine as Light). Shuchi Talati, elle, a présenté son premier long métrage au festival de Sundance où il a reçu le prix du public dans la catégorie Cinéma du monde. Girls Will Be Girls s’attache à deux générations de femmes, à travers la confrontation d’une adolescente de 16 ans pensionnaire d'un établissement scolaire élitiste, assaillie par les questionnements de l’âge adulte, avec sa mère immature qui n’a jamais vraiment réussi quant à elle à franchir ce cap fatidique et se voit submergée par ses illusions perdues et cette fille en passe de réaliser ses propres aspirations par procuration. Un double portrait qui reflète la prise de conscience collective d’une nouvelle génération perméable à l’influence occidentale et à la montée en puissance des mouvements féministes et de leurs revendications universelles.
Preeti Panigrahi
Girls Will Be Girls s’appuie sur la présence de deux comédiennes éblouissantes. La fille, c’est la débutante Preeti Panigrahi, couronnée elle aussi à Sundance pour sa composition si subtile. Sa mère à l’écran, c’est Kani Kusruti, quant à elle également dans le rôle principal d’All We Imagine as Light. Shuchi Talati règle cette confrontation de générations au féminin sur un mode intimiste où les paroles s’avèrent souvent plus puissantes que les actes. On y perçoit que la mère s’est sacrifiée pour élever seule sa fille, quitte à mettre en marge sa vie affective, là où la jeune fille refuse de répéter cette fatalité et entend conserver la maîtrise de ses relations affectives et sexuelles. Situation au fond assez classique qui bascule dans le tragique lorsque la génération suivante franchit à son tour cette étape hautement symbolique dans un état d’esprit totalement différent. Sous les dehors d’une comédie de mœurs incisive aux lumières solaires qui s’attardent sur les visages affleure une critique sociale audacieuse tout à fait nouvelle dans un cinéma indien de longue date réticent à regarder sa société droit dans les yeux. Peut-être assiste-t-on là aux prémices d’une véritable révolution, sinon à l’émergence d’une nouvelle vague au féminin dont la pionnière est longtemps demeurée une exception : Mira Nair, révélée par Salaam Bombay ! en… 1988. Elle ne peut que se réjouir de voir enfin éclore les graines qu’elle a semées au millénaire précédent. C’est le temps qu’il aura fallu aux femmes du pays le plus peuplé du monde pour commencer à s’emparer de leur destin collectif et individuel. Ce film subtil résonne dès lors comme leur cri de guerre pacifique mais vibrant.
Jean-Philippe Guerand
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