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“Emilia Pérez” de Jacques Audiard



Film franco-mexico-américain de Jacques Audiard (2024), avec Karla Sofía Gascón, Zoe Saldaña, Selena Gomez, Adriana Paz, Édgar Ramirez, Mark Ivanir, Eduardo Aladro, Emiliano Hassan, Gaël Murgia-Fu, Stéphane Ly-Cuong, Anabel Lopez, James Gerard, Line Phe, Cyrus Khodaveisi, Yohan Levy, Lin Chung-Ting, Tulika Srivastava, Agathe Bokja… 2h12. Sortie le 21 août 2024.



Karla Sofía Gascón et Adriana Paz



Jacques Audiard semble mettre un malin plaisir à profiter de sa bonne réputation pour s’aventurer dans les recoins les plus extrêmes du cinéma. Non content d’avoir réussi à faire oublier que son patronyme était aussi celui d’un des scénaristes les plus prolifiques de l’Après-Guerre, il est parvenu à se faire un prénom en balisant son propre territoire, le drame psychologique, avant de s’en éloigner de plus en plus. Il a revisité le Revenge Movie avec Dheepan pour lequel il a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2015 avant de se frotter au western dans Les frères Sisters (2018), puis de se resourcer à la féminisation du cinéma français en collaborant avec Céline Sciamma au scénario des Olympiades. C’est aussi l’air du temps qui a présidé aux destinées de son dernier opus en date, à travers la transition de genre d’un chef de cartel mexicain qui orchestre sa disparition avant de mettre à profit sa nouvelle identité de femme pour consacrer le reste de sa vie à se racheter de sa vie criminelle, avec pour éminence grise une avocate lasse d’avoir défendu trop de fripouilles. Un sujet d’une incroyable audace dont le cinéaste a eu l’idée de confier le rôle-titre à Karla Sofía Gascón, une actrice espagnole transgenre connue jusqu’ici pour quelques séries et lauréate à Cannes d’un prix d’interprétation féminine collectif avec trois de ses partenaires : Zoe Saldaña, Selena Gomez et Adriana Paz. Ce film qui pratique avec virtuosité le mélange des genres, du thriller au mélodrame en passant par quelques numéros musicaux d’anthologie, s’érige en outre comme une ode à la sororité avec un lyrisme assumé.



Selena Gomez



Emilia Pérez a tous les culots. À commencer par celui de s’appuyer sur un postulat d’une incroyable audace et de le pousser dans ses plus ultimes retranchements. Son cheminement est celui d’une rédemption à la limite du fantastique. Un homme malfaisant s’y transforme en une femme prodigue dans le Mexique des cartels. Formellement cette histoire épouse des références à géométrie variable qui la transforment en un véritable creuset cinématographique. Jacques Audiard est un metteur en scène qui assume ses références et excelle à les transgresser en y apportant sa contribution personnelle. Il s’entoure ici de collaborateurs d’élite, à l’instar des séquences musicales chorégraphiées par Damien Jalet pour lesquelles il a fait appel aux compositeurs Camille et Clément Ducol, pour ce qui avait été conçu à l’origine comme un opéra, ainsi qu’à la chanteuse Selena Gomez qui effectue un somptueux comeback. Ce foisonnement artistique a accouché d’une fresque hybride qu’on peut légitimement considérer comme un conte moral où le facteur confirme qu’il sonne bien toujours deux fois. Le passé s’invite dans le présent sans y avoir été convié et fait basculer le drame psychologique vers le mélo assumé, avec un lyrisme et une gamme chromatique qui renvoient quant à eux à la grande tradition mexicaine. Voici un film qui rencontre son époque à point nommé et justifie à ce titre le prix du jury qui lui a été décerné sur la Croisette où il a déchaîné les passions par sa générosité et ses morceaux de bravoure.

Jean-Philippe Guerand






Karla Sofía Gascón et Zoe Saldaña

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