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“Sons” de Gustav Möller



Vogter Film dano-suédois de Gustav Möller (2024), avec Sidse Babett Knudsen, Sebastian Bull Sarning, Dar Salim, Marina Bouras, Olaf Johannessen, Jacob Lohmann, Thomas Voss, Ida Cæcilie Rasmussen… 1h40. Sortie le 10 juillet 2024.



Sidse Babett Knudsen



Gustav Möller aime les concepts. Dans son premier long métrage, The Guilty (2018), ce cinéaste suédois établi au Danemark marchait sur la corde raide d’un centre d’appel d’urgence de la police confronté à un correspondant anonyme dont la vie ne tenait vraiment qu’à un fil. La violence y était évoquée hors-champ. Dans Sons, il se livre à un nouveau tour de force, en s’attachant à une gardienne de prison à la conscience professionnelle chevillée au corps qui voit débarquer un jour dans son établissement pénitentiaire un jeune homme coupable d’une faute impardonnable à ses yeux de mère. Un événement qui incite cette femme solitaire et rigoureuse à demander sa mutation dans le quartier de haute surveillance où a été affecté le mystérieux détenu. Commence alors un étrange jeu du chat et de la souris dont on découvrira progressivement les motivations profondes. Möller ne laisse à aucun moment la mise en scène prendre le pas sur son scénario construit avec la rigueur d’une tragédie antique qui orchestre un face à face asymétrique, dans la mesure où la gardienne reste maîtresse d’un jeu pervers dont elle seule maîtrise pleinement les règles, son souffre-douleur ignorant qui elle est et plus encore quelles sont ses véritables intentions à son égard, ce qui l’empêche de se défendre en connaissance de cause contre une menace non identifiée qu’il met d’abord sur le compte du régime carcéral. Comme rendu insensible à la douleur par un passé éprouvant.



Sidse Babett Knudsen et Sebastian Bull



Sons est un film disruptif qui prend le risque de dépeindre une histoire dont les antagonistes ne se trouvent jamais à égalité, mais ont pour point commun d’intérioriser leurs sentiments donc de devoir se battre seuls contre eux-mêmes avant de pouvoir affronter les autres. C’est là où intervient la présence de l’immense actrice qu’est Sidse Babett Knudsen, la plus célèbre Danoise du cinéma français, lauréate d’un César pour L’hermine de Christian Vincent et d’une nomination pour La fille de Brest. Elle est une fois de plus prodigieuse dans ce rôle peu propice à l’empathie où elle déploie des trésors de sadisme pour assouvir une vengeance personnelle dont on comprend assez vite que rien ne réussira à soulager sa propre peine. C’est là où sa capacité d’intériorisation sert les états d’âme de son personnage qui ne semble continuer à vivre, ou plutôt à survivre, que pour accomplir la mission qu’il s’est assignée. Le cinéma de prison est devenu un genre à part entière dont ce film respecte les règles, tout en en subvertissant parfois les codes, en s’attachant au point de vue d’un personnage qui s’ingénie à dissimuler ses actes sous les apparences de la routine carcérale. Dès lors, dans un environnement aussi violent, les punitions, les humiliations et les sévices se trouvent banalisés par la routine disciplinaire. Avec en toile de fond les sentiments de plus en plus troubles d’une femme inconsolable qui agit dans un espace délétère circonscrit au-delà du bien et du mal où elle va perdre peu à peu ses repères fondamentaux.

Jean-Philippe Guerand






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