Accéder au contenu principal

“Pendant ce temps sur Terre” de Jérémy Clapin



Film français de Jérémy Clapin (2024), avec Megan Northam, Sofia Lesaffre, Catherine Salée, Sam Louwyck, Roman Wiliams, Nicolas Avinée, Yoan Germain Le Mat, Yoann Thibaut Mathias, Arcadi Radeff, Sabine Timoteo, Dimitri Doré… 1h29. Sortie le 3 juillet 2024.



Megan Northam (à droite)



Les absents ont toujours tort. Difficile de continuer à vivre quand on a perdu la chair de sa chair. Son frère aîné étant porté disparu au cours d’une mission spatiale, Elsa est contactée par une forme de vie inconnue venue d’ailleurs qui se propose de rapatrier celui dont elle ressent l’absence tous les jours… Une thématique ambitieuse pour une invitation au rêve qui revendique son appartenance au cinéma d’auteur français traditionnel. À une nuance près : Jérémy Clapin s’est fait remarquer avec J’ai perdu mon corps, un premier long métrage d’animation qui a obtenu le grand prix de la Semaine de la critique à Cannes et une nomination à l’Oscar. Il accomplit avec son deuxième film le parcours inverse de beaucoup de ses confrères dont Patrice Leconte (Le magasin des suicides) et Michel Hazanavicius (La plus précieuse des marchandises) pour mieux ancrer son récit dans un cadre très quotidien. La dimension fantastique de son film se réduit à des effets minimalistes qui reflètent en fait un léger décalage de la réalité, au point qu’on puisse en arriver à douter de la raison de son héroïne hantée par une absence qui l’empêche de devenir adulte et disposée pour cette raison à accueillir le moindre signe de vie sans se poser de questions sur ses origines véritables. Pendant ce temps sur Terre est en cela une magnifique réflexion sur le pouvoir de l’imagination dans un monde désespérément cartésien où les rêveurs en viennent parfois à être considérés comme des fous, sous prétexte qu’ils s’accrochent à des chimères.



Megan Northam et Sabine Timoteo



L’au-delà est ici à prendre dans son double sens. C’est à la fois cet espace infini qui a volé son frère à une adolescente et le territoire des morts. Il émane du personnage d’Elsa un pouvoir mystérieux qui en fait une accompagnatrice malgré elle par sa volonté de traverser les apparences. Et comme on ne se refait pas, Jérémy Clapin choisit de confronter deux formes distinctes auxquelles il assigne une fonction prédéfinie. Le quotidien passe par la prise de vues traditionnelle, tandis que l’imaginaire intérieur s’exprime à travers l’animation. Résultat, cette alchimie engendre une poésie qui doit beaucoup à son traitement esthétique, dans la mesure où le réalisateur laisse son libre-arbitre au spectateur quant à décider jusqu’où peut vagabonder l’imagination de cette jeune fille qui se raccroche littéralement à ses rêves pour éviter de sombrer dans le désespoir. Pendant ce temps sur Terre assume son statut d’invitation au voyage, même si celui-ci est à la fois cérébral et affectif. Le réalisateur trouve en cela une interprète de choix en la personne de Megan Northam que son travail en maison de retraite a familiarisé prématurément avec la mort et qui semble prête à tout pour accomplir le travail de deuil qu’on lui a volé, quitte à y sacrifier une partie de sa raison. L’habileté de la mise en scène consiste à jouer d’infimes entorses avec le réel qui contribuent à nous enfermer dans le doute : où s’arrête la vérité et où débute le rêve ?

Jean-Philippe Guerand




Megan Northam

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...