Film espagnol d’Álvaro Gago (2023), avec María Vázquez, Santi Prego, Soraya Luaces, Tatan, Susana Sampedro, Francisca Iglesias Bouzón… 1h39. Sortie le 3 juillet 2024.
María Vázquez
Ramona est une femme en colère qui refuse de plier et de se soumettre aux lois de l’économie dans le village de pêcheurs de Galice où elle vit. Alors quand l’ouvrière ose se révolter contre les baisses de salaires drastiques appliquées dans son usine, elle est licenciée et doit se lancer dans une spirale infernale de petits métiers et d’emplois précaires afin de pouvoir subvenir à ses besoins et réussir à élever dignement sa fille dans un monde déréglementé où la concurrence est rude et où elle ne veut pas dépendre d’un homme. Matria s’inscrit dans le prolongement du court métrage homonyme signé en 2017 par Álvaro Gago avec Francisca Iglesias Bouzón dont la personnalité a profondément inspiré son personnage et qui incarne cette fois-ci un rôle secondaire, sans être comédienne de profession. Face au défi physique que représentait ce rôle écrasant sur le long terme, Álvaro Gago a décidé d’opter pour une nature dont la hargne semble littéralement vissée au corps : María Vázquez à qui sa composition a valu plusieurs récompenses. Dès lors, la mise en scène décide de ne faire qu’un avec cette femme pressée dont on comprend que tout arrêt risque d’impliquer la chute, mais réussit tout de même à ralentir sans trop de dommages. Le postulat de la caméra qui la suit est de ne jamais la victimiser, mais de guetter les moindres stigmates de la rage qui l’habite. Il y a chez elle davantage du refus de se soumettre de Laure Calamy dans À plein temps (2021) d’Éric Gravel que du dévouement d’Anna Magnani en mère courage dans Bellissima (1951) de Luchino Visconti, par exemple. Avec en prime cette crinière rousse incendiaire qui est indissociable de sa détermination et de sa fougue à trouver sa juste place au sein de cet univers impitoyable.
María Vázquez et Soraya Luaces
Matria est un film profondément ancré en Galice, et même dialogué dans cette langue, parti pris défendu farouchement par le réalisateur contre ses producteurs, mais qui pointe une particularité à la fois régionaliste et traditionnelle de l’Espagne. Un propos qui nourrit paradoxalement le caractère universel de ce destin individuel entravé par une horreur économique sans frontières. Car cette femme pressée pourrait tout aussi bien être française. Elle incarne en fait par ses caractéristiques une sorte de figure du prolétariat sur laquelle la mondialisation n’a produit que des effets néfastes. Une résistante isolée qui nourrit moins de préoccupations politiques ou même sociales que personnelles car elle se bat pour elle et sa fille en aspirant simplement à une vie meilleure, mais en aucun cas à briser le système. Le film tranche en cela avec le cinéma engagé qui a émergé au lendemain de Mai 68 et avait l’espoir, et sans doute aussi la vanité, d’essayer de faire changer le monde et en tout cas de le rendre un tout petit peu meilleur. Ici, les jeux sont faits et c’est en quelque sorte chacun pour soi face à une citadelle économique imprenable. D’où la puissance de cette égérie à laquelle s’attache le film à travers son titre qui est la déclinaison au féminin du mot “patrie” dans la Galice, cette communauté autonome du nord-ouest de l’Espagne frappée par la désindustrialisation à l’orée de notre millénaire, mais réputée pour être la terre des femmes qui a réussi à sauvegarder sa culture et sa langue.
Jean-Philippe Guerand
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