Film français d’André Téchiné (2024), avec Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Nahuel Pérez Biscayart, Romane Meunier, Moustapha Mbengue, Stéphane Rideau… 1h25. Sortie le 10 juillet 2024.
Hafsia Herzi, Isabelle Huppert
Romane Meunier et Nahuel Pérez Biscayart
André Téchiné fait partie de ces réalisateurs pour lesquels le romanesque constitue une vertu cardinale qui repose en premier lieu sur la complexité des rapports humains. Depuis son deuxième long métrage, Souvenirs d’en France (1975), il n’a de cesse d’explorer les confins de l’âme et d’étudier les conséquences des situations les plus extrêmes comme les plus anodines. Avec toujours ce plaisir partagé qui consiste à réunir des interprètes pour observer l’alchimie invisible qui va naître de leur rencontre. Résultat, il s’aventure au plus profond des êtres afin de sonder ce qui les rapproche comme ce qui les sépare. C’est une fois de plus le cas dans son nouveau film, présenté à la Berlinale. L’histoire simple d’une fonctionnaire de la police technique et scientifique dont le compagnon s’est suicidé et qui se prend d’affection pour un jeune couple de voisins fraîchement installé, en nouant avec la mère et sa fille des relations intimes sur lesquels plane l’ombre d’un absent, le père. Jusqu’au moment où cette policière découvre que celui-ci est un activiste sous haute surveillance (Nahuel Pérez Biscayart) et se trouve éprouvée malgré elle par un dilemme : assumer cette amitié qui rend sa solitude plus tolérable ou faire face à ses responsabilités sur le plan professionnel, même quand elle est hors service. Un conflit de loyauté qui permet à Téchiné de se concentrer sur un nombre réduit de protagonistes pour mieux observer l’évolution de leurs relations. Postulat qui possède en outre l’insigne avantage de limiter les coûts de production dans un contexte où le cinéma d’auteur apparaît fragilisé par la désaffection du grand public.
Isabelle Huppert et Nahuel Pérez Biscayart
Brillant directeur d’actrices, Téchiné réunit ici deux natures à son goût : Isabelle Huppert qu’il a dirigée à ses débuts dans Les sœurs Brontë (1979) et Hafsia Herzi qui démontre rôle après rôle l’étendue impressionnante de son registre et sort de deux compositions aussi magistrales qu’ambiguës dans Le ravissement et Borgo. Le cinéaste règle leur pas de deux avec sa virtuosité coutumière, en évitant tous les pièges du manichéisme frontal que pourrait susciter une telle rencontre. Il évacue par ailleurs un écueil quant à lui imprévisible : la confrontation des deux mêmes actrices qu’a orchestrée dans la foulée Patricia Mazuy dans La prisonnière de Bordeaux (à l’affiche le 28 août prochain) où elles incarnent cette fois des femmes de conditions sociales différentes qui ont sympathisé en rendant visite à leurs maris en détention et vont devenir indispensables l’une à l’autre. Les multiples questionnements des Gens d’à côté découlent toutefois davantage d’un dilemme moral, à travers la frontière ténue qui sépare le métier d’un gardien de l’ordre de sa vie privée. Avec pour le défendre des interprètes inspirés qui évoluent sur le registre des détails les plus intimes et les plus infimes. Sans être une de ses œuvres majeures, le film atteste de la maîtrise de Téchiné sur un sujet au fond assez universel ancré dans une société contemporaine qu’il n’a jamais cessé de scruter à la loupe à travers ses protagonistes. Avec une prédilection assumée pour ses zones d’ombre les plus obscures et les faux-semblants propices à l’ambiguïté.
Jean-Philippe Guerand
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