Film franco-germano-belge de Jonathan Millet (2024), avec Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter, Hala Rajab, Shafiqa El Till, Sylvain Samson, Mohammad Saboor Rasooli, Faisal Alia, Mudar Ramadan, Pascal Cervo, Marie Rémond, Dorado Jadiba, Fakher Aldeen Fayad, Jacques Follorou, Janty Omat… 1h46. Sortie le 3 juillet 2024.
Adam Bessa et Julia Franz Richter
Présenté en ouverture de la dernière Semaine de la critique cannoise, Les fantômes a été considéré par un certain nombre de critiques comme le meilleur premier film français présenté sur la Croisette. Jonathan Millet y adopte le point de vue d’un jeune Syrien chargé de confondre celui qui fut son bourreau et vit désormais protégé par son anonymat. Une traque méticuleuse menée avec autant de prudence que de ténacité où l’intime conviction se doit d’être attestée par des faits objectifs. Jonathan Millet prend résolument le contre-pied du cinéma d’espionnage anglo-saxon et de la tradition incarnée par l’écrivain John Le Carré. Il s’attache au contraire au côté obscur de cette activité qui s’exerce ici dans la solitude et la clandestinité d’une cellule chargée de débusquer des criminels de guerre réfugiés en Europe. Une ex-victime de la torture qui a souffert masqué et doit désormais identifier son tortionnaire par sa voix, gageure tragique aux conséquences incalculables. Le choix pour interpréter ce rôle d’Adam Bessa, révélé au cinéma dans Harka de Lofty Nathan, s’avère d’autant plus judicieux que son jeu intériorisé et son sourire aussi rare qu’énigmatique cadrent idéalement avec son souci de se noyer dans la foule pour voir sans être vu afin de confondre un personnage qui apparaît en quelque sorte comme son double inversé. Un jeu d’ombres réglé avec maestria par une mise en scène discrète qui adopte le regard de cet agent secret incognito chargé de démasquer ce passe-muraille au terme d’un travail de fourmi. Soucieux de respecter le caractère clandestin de sa mission, Millet nous donne à partager ses cas de conscience et ses doutes successifs, tant ils peuvent s’avérer lourds de conséquences et reposent sur la vulnérabilité propre à la perception humaine.
Adam Bessa
On retrouve dans Les fantômes un thème qui rappelle de Tu marcheras sur l’eau (2004), un très grand film israélien d’Eytan Fox dans lequel un agent du Mossad s’introduisait dans l’intimité d’un ancien dignitaire nazi pour l’éliminer. Rompu à l’art ingrat du documentaire, Jonathan Millet épouse le rythme de son anti-héros en décrivant par le détail cette routine fastidieuse et répétitive qui consiste à accumuler des indices minuscules pour en extraire un mince faisceau de preuves. Avec toujours ce doute qui le taraude car il peut entraîner des conséquences incalculables. Le pari du film repose sur son refus du spectaculaire et cette routine qui conduit le réalisateur à cadrer “la cible” à distance, en ne nous révélant son visage que petit à petit, lorsque son chasseur s’en rapproche. Il réussit pourtant la prouesse de nous mettre dans la tête de cet agent chargé de le démasquer qui semble être le seul à pouvoir l’identifier avec certitude, même si du temps s’est écoulé depuis ses crimes et que le bourreau a changé d’identité et a effacé soigneusement toutes les traces de son passé pour devenir un citoyen insoupçonnable. Un processus qui passe par une composante fondamentale du cinéma, le son, et renvoie en tant que tel à deux références du cinéma américain : Conversation secrète (1974) de Francis Ford Coppola et Blow Out (1981) de Brian de Palma. La réflexion est d’autant plus étourdissante que le processus est décrit avec méticulosité. Avec ce doute obsessionnel qui planera jusqu’à la dernière image. Rarement un film d’espionnage a relaté avec une telle précision ce travail de terrain rébarbatif et austère pour ne pas dire ingrat des hommes de l’ombre, sans lequel les services secrets n’obtiendraient que des résultats approximatifs et ne réussiraient que quelques coups spectaculaires sans parvenir à démanteler des réseaux entiers. On guettera avec impatience le prochain film de Jonathan Millet.
Jean-Philippe Guerand
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