Accéder au contenu principal

“Karmapolice” de Julien Paolini



Film français de Julien Paolini (2023), avec Syrus Shahidi, Alexis Manenti, Karidja Touré, Foëd Amara, Hortense Ardalan, Steve Tchientcheu, Sabrina Ouazani, Thomas Blumenthal, Vincent Heneine, Yaniss Lespert, Astan Bathily, Zacharie Chasseriaud, Tom Hygreck… 1h20. Sortie le 17 juillet 2024.



Syrus Shahidi et Alexis Manenti



Au pied de la butte Montmartre, le quartier parisien de Château Rouge est une véritable fourmilière qui a souvent servi de cadre à des polars sur fond de melting-pot communautaire et semble résister au temps en s’accrochant à son statut de première ligne de l’immigration parisienne. C’est le décor qu’a choisi Julien Paolini pour son deuxième long métrage après Amare amaro (2020). Il y met en scène les états d’âme d’un flic usé par son métier qui cherche un nouveau sens à sa vie rongée par la routine. Une réflexion existentielle dépourvue de beaux discours et de mots d’auteur qui s’appuie sur la puissance du réalisme. Grand prix du festival du cinéma policier de Cognac 2023 (une référence dans le genre !), Karmapolice perpétue une tradition à peu près aussi vieille que le cinéma sans s’embarrasser de considérations artificielles. Il sème d’ailleurs avec une certaine jubilation des petits cailloux blancs à travers son flic qui arbore le bonnet d’Al Pacino dans Serpico et le type claudiquant que campe Alexis Manenti façon Dustin Hoffman dans Macdam cowboy. Le film repose pour une bonne part sur les épaules de son personnage principal, ce flic qui aurait sans doute pu devenir un voyou et que son métier a usé au point de lui faire douter de sa vocation présumée, mais aussi simplement de sa façon de conserver la part d’humanité qui lui vaut de rester intègre dans un monde qui ressemble parfois à l’enfer. Avec cet anonymat précieux qui permet à quiconque de se fondre dans la foule, mais aussi aux résidents de longue date de profiter de leur expérience pour exploiter les nouveaux venus comme eux-mêmes l’ont sans doute été à leur arrivée. Une thématique universelle qui a souvent constitué le nerf de la guerre de la série noire avec plus ou moins de pertinence.



Foëd Amara et Syrus Shahidi



Julien Paolini décrit cet univers en adoptant la juste distance, usant notamment d’une caméra mobile et d’une équipe légère afin de saisir des moments précieux où il isole ses protagonistes en les cadrant avec de longues focales au milieu d’une foule en mouvement perpétuel. S’il ne s’interdit pas de parsemer son univers de quelques figures pittoresques, à l’instar de ce Poulet claudiquant que campe Alexis Manenti, mais aussi des seconds rôles campés par Karidja Touré et Steve Tchientcheu, il apporte un soin particulier à son personnage principal, ce flic barbu coiffé d’un bob que campe Syrus Shahidi, son acteur fétiche, avec une autorité naturelle et un charisme étudié. On a parfois le sentiment qu’il est à ce point immergé dans cet univers interlope qu’il n’a pas besoin d’observer ce qui se passe autour de lui pour en saisir les nuances et en repérer les anomalies. Le film épouse le regard de cet homme dans la foule qui verrait sans doute tout aussi bien s’il était aveugle. C’est même cette routine qui l’a usé. Le propos de Paolini réside aussi dans ce sentiment d’usure qui l’a rendu peu à peu impuissant à exercer sa mission et menace de réduire ses illusions de jeunesse à l’état de routine. Si référence cinématographique il y a, elle se trouve ici dans le New York nocturne des frères Safdie et avant eux d’Abel Ferrara voire de Martin Scorsese, mais aussi dans des polars français tels que L627 de Bertrand Tavernier ou Tchao pantin de Claude Berri où le décor conditionne les personnages au point de les emprisonner jusqu’à les essorer, sans céder pour autant aux sirènes convenues du naturalisme poétique. C’est précisément contre cette menace que lutte l’anti-héros de Karmapolice pour préserver son équilibre en péril.

Jean-Philippe Guerand





Karidja Touré

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract