Film germano-géorgien de Veit Helmer (2023), avec Mathilde Irrmann, Nino Soselio, Niara Chichinadze, Zviad Papuashvili… 1h23. Sortie le 24 juillet 2024.
Mathilde Irrmann et Nino Soselio
Veit Helmer est un réalisateur à part qui poursuit depuis ses débuts des chimères hors du commun. Comme s’il fabriquait des prototypes à l’usage de quelques amateurs de curiosités, sans avoir à se préoccuper de respecter les règles du cinéma, ce septième art dont André Malraux se plaisait à souligner qu’il est aussi une industrie, contrairement à la littérature par exemple, par son coût de production davantage que par son rayonnement commercial. On retrouve chez ce cinéaste allemand une singularité qui consiste à raconter des histoires sans paroles que leur absence de langage rend universelles, en supprimant d’entrée de jeu deux obstacles majeurs à l’exportation : le doublage et le sous-titrage. En contrepartie, la mise en scène s’appuie sur une rigueur formelle de chaque plan et sur une bande son qui accorde une place prépondérante aux bruitages et à la musique. Gondola se situe dans une Géorgie aux reliefs de carte postale. Là, deux jeunes hôtesses règnent sur un véritable empire microscopique : des cabines de téléphérique dans lesquelles elles passent leurs journées à se croiser en communiquant par tous les moyens à leur disposition afin de briser par leurs facéties une routine absurde ponctuée d’allers et venues monotones. La clientèle plutôt rare est constituée de paysans du cru aux fantaisies desquels il convient de s’adapter avec tout l’à-propos nécessaire, bien qu’il n’y ait pas la moindre concurrence sérieuse à redouter entre ce village d’altitude et la vallée. En filigrane se joue une autre histoire : la romance de ces deux demoiselles sublimes dans un environnement plutôt arriéré sinon homophobe.
Révélé il y a un quart de siècle par Tuvalu (1999) qu’ont suivi notamment Baikonur (2011) et The Bra (2018), toujours sur le mode de la mosaïque, Veit Helmer revendique son caractère inclassable tout en creusant un sillon unique à tous les sens du terme qui en fait un héritier lointain de Pierre Étaix et Otar Iosseliani par son sens de la stylisation et un goût du burlesque qui frise souvent l’absurde. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’un de ses films s’intitule… Absurdistan (2008). Pour apprécier la liberté et l’insouciance de ce cinéma, il convient sans doute d’avoir conservé une bonne part d’innocence et d’ouverture d’esprit. Une sensation qu’accentue encore le choix de ses paysages sylvestres situés le plus souvent dans une Europe orientale où le temps semble avoir suspendu son vol et où les fracas du monde demeurent à bonne distance. Il y a chez ces paysans qui vont au ciel au sens propre et ceux qui lèvent les yeux au passage des cabines en faisant mine de s’émerveiller une sorte de communion puérile pour ce moyen de transport d’une très relative modernité que leurs hôtesses transforment au gré de leur imagination en avion, en bateau et en toutes sortes d’objets volants plus ou moins identifiés. Veit Helmer règle ce ballet incessant sur un tempo de surenchère permanente et avec une ironie bienveillante qui semble nous prendre à témoin de cette folie douce aux ressources intarissables. Ce cinéma-là ne ressemble décidément à aucun autre mais constitue une délicieuse invitation au rêve à dévorer sans aucune modération, avec en filigrane un message de tolérance bien réel qui passe par un rituel de séduction fou, fou, fou où tout semble permis au nom de l’amour.
Jean-Philippe Guerand
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