Accéder au contenu principal

“Belle enfant” de Jim



Film français de Jim (2023), avec Marine Bohin, Baptiste Lecaplain, Marisa Berenson, Caroline Bourg, Cybèle Villemagne, Albert Delpy, F. Haydée Borelli, Michaël Cohen, Sarah-Laure Estragnat, Geneviève Lezy, Léa-Dominique Muziotti… 1h42. Sortie le 24 juillet 2024.



Marine Bohin et Baptiste Lecaplain



À deux jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, le nombre de nouveaux films à l’affiche s’amenuise singulièrement. Ne pas en déduire pour autant que les rares sorties sont des fonds de tiroir où relèvent du déstockage calculé, en espérant qu’une exposition en salle, même limitée et éphémère, donnera une valeur ajoutée aux ventes à la télévision. Vœu pieux qui ne doit pas occulter la valeur réelle du premier film du scénariste et dessinateur de BD Jim déjà remarqué pour ses courts métrages. La chronique douloureuse d’une jeune femme conviée à une réunion de famille par sa mère dans sa retraite italienne qui embarque dans son sillage un chevalier servant et serviable, histoire de donner l’impression à sa tribu perdue de vue qu’elle a réussi à conjurer son appétence pour la loose, tout en se donnant une contenance. Belle enfant est une comédie triste sinon mélancolique et désenchantée qui donne l’impression étrange de ne pas vouloir être aimée pour ce qu’elle est : une variation moins douce qu’amère autour de la sempiternelle formule “ Famille je vous aime, famille je vous hais ”. La constatation aussi que certains liens résistent à tout et que ce qui nous rapproche reste souvent plus fort que ce qui nous sépare. Cette famille dysfonctionnelle (mais ne le sont-elles pas toutes à des degrés divers ?), Jim l’a conçue comme si c’était la sienne, en choisissant toutefois d’adopter un point de vue féminin : celui de la fille mal aimée lasse de jouer le rôle ingrat du vilain petit canard qui décide de faire tomber les masques, là où ses deux sœurs aînées portent leur réussite illusoire en bandoulière et où sa mère pétrie d’égoïsme trône dans sa tour d’ivoire sans jamais avoir pris les responsabilités qui auraient dû être les siennes, pour ne pas avoir à assumer son âge et continuer à vieillir en se recroquevillant sur elle-même.



Albert Delpy et Marisa Berenson



À partir d’un thème universel, Jim cisèle une étude de caractères qu’on peut aussi interpréter comme la chronique d’un profond malaise. Il réunit pour cela une distribution particulièrement judicieuse. Avec en guise de figure de proue, la fille mal aimée qu’incarne Marine Bohin, par ailleurs journaliste à l’excellent magazine de cinéma “So Film”. C’est à elle que revient la lourde tâche de faire voler en éclats les apparences, quitte à révéler ses faiblesses et à fendre l’armure pour parvenir enfin à mûrir et à s’émanciper. Quitte à y laisser quelques plumes. Avec à ses côtés dans un parfait contre-emploi l’humoriste séduisant Baptiste Lecaplain et face à elle la mère extravagante et cannibale campée par Marisa Berenson dans un rôle d’une intensité comme elle n’en pas interprété si souvent, prisonnière de la beauté éternelle dans laquelle l’a statufiée Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Ce casting inventif témoigne de l’importance majeure que le bédéaste confère à ses protagonistes, en réussissant à n’en sacrifier aucun au profit des autres et en appuyant sur les failles de chacun d’entre eux pour mieux briser le vernis trompeur des apparences. Jusqu’au compagnon de la mère qu’incarne Albert Delpy avec son autorité naturelle de témoin silencieux. Belle enfant est la chronique d’une famille bout de ficelle dont le temps a creusé les fissures et qui ne peut réussir à retrouver la voie d’une communication apaisée qu’à condition que les langues se délient enfin. Un jeu de la vérité à haut risque dont les dégâts seront le prix inéluctable à payer pour une réconciliation salubre et nécessaire. C’est un premier film qui mérite de trouver son public à la faveur d’une période où les personnes insensibles aux exploits sportifs risquent de ne pas disposer de nombreux dérivatifs d’une telle intensité.

Jean-Philippe Guerand







Caroline Bourg

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract