Film français de Karim Bensalah (2023), avec Hamza Meziani, Kader Affak, Souad Arsane, Mostéfa Djadjam, Magdalena Laubisch, Abbes Zahmani, Karina Testa, Mehdi Djaadi… 1h36. Sortie le 19 juin 2024.
Hamza Meziani et Kader Affak
Sous le coup d’une mesure d’expulsion, le fils d’un ex-diplomate algérien ne dispose que de quelques jours pour décrocher le contrat de travail susceptible d’enrayer cette procédure administrative. Il aboutit ainsi en désespoir de cause dans une entreprise de pompes funèbres musulmanes. Là, il se voit affecté en tandem avec un vieil employé imprévisible en établissant un fragile statu quo qui lui permette de travailler dans un climat serein. Karim Bensalah signe un premier film d’apprentissage séduisant sur le délicat passage à l’âge adulte d’un jeune homme qui s’accroche à l’insouciance de son adolescence en refusant d’assumer ses responsabilités. Formidable portrait dont s’empare Hamza Meziani dans le rôle de cet éternel gamin qui resasse une certaine rancœur contre sa famille et se retrouve au contact quotidien de la mort, à un moment de sa jeune existence où la rage de vivre devrait tout emporter sur son passage. Le film est à l’image de son titre ironique qui détourne celui de la célèbre série télévisée d’Alan Ball Six Feet Under. C’est une comédie pince-sans-rire qui brasse des thèmes très sérieux avec une fausse insouciance. Rebelle sans autre véritable cause que de s’en sortir, son anti-héros flegmatique sur qui tout semble glisser incarne l’insouciance de son âge au moment où elle se fracasse contre des problématiques fondamentales dont il a longtemps cru pouvoir se passer pour profiter de sa jeunesse en voyageant à travers le monde afin de fuir les siens et ne plus avoir de compte à leur rendre. Sa désillusion est d’autant plus amère lorsqu’il se trouve confronté à cette famille telle qu’en elle-même aux yeux de qui il est resté l’enfant qu’il a été.
Hamza Meziani et Magdalena Laubisch
Six pieds sur terre traite de la confrontation d’un garçon à la fois insouciant et cérébral à l’accompagnement des défunts, c’est-à-dire en quelque sorte à l’autre extrémité de son existence qui ne figure pas a priori parmi ses préoccupations les plus immédiates. Deux univers incompatibles qui se retrouvent dans sa personnalité complexe, laquelle n’est pas sans rappeler celle d’un autre personnage de cinéma croisé il y a quelques mois : Le dernier des Juifs incarné par Michael Zindel qui ressemblait d’ailleurs par bien des aspects à Hamza Meziani dans sa déclinaison musulmane. Le scénario associe à ce faux candide son exact antithèse : un vieil employé peu loquace mais dévoué à son métier et à la religion qui se fait une très haute idée de sa fonction et de l’accompagnement des défunts. Une relation étrange va s’établir entre eux et même en quelque sorte malgré eux. Le film avance au rythme des enterrements et des cérémonies mortuaires orchestrées par cette agence de pompes funèbres où l’indifférence du jeune homme est perçue malgré lui comme un gage de professionnalisme par son patron. Le film exploite les ressources de la comédie dramatique pour délivrer quelques vérités bien senties sur la condition humaine à travers un personnage moins impénétrable qu’il ne pourrait y paraître de prime abord, notamment à travers sa confrontation avec un père inconscient du mal qu’il a pu lui faire au nom de sa propre vanité. Sans amertume ni leçon de morale.
Jean-Philippe Guerand
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