Film britanno-américain de Rose Glass (2023), avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Jena Malone, Anna Baryshnikov, Dave Franco, Ed Harris, Keith Jardine, David DeLao, Jerry G. Angelo, Catherine Haun, Gonzalo Robles, Matthew Blood-Smyth, Orion Carrington… 1h44. Sortie le 12 juin 2024.
Katy O’Brian et Kristen Stewart
La féminisation à marche forcée du cinéma anglo-saxon suscite une sorte de mouvement de tectonique des plaques très intéressant qui semblent en passe de faire bouger les lignes à l’aune de #MeToo. Davantage que les récits proprement dits, ce sont les personnages qui voient leurs définitions évoluer. La réalisatrice britannique Rose Glass incarne cette nouvelle génération. Elle avait effectué des débuts remarqués en renouvelant le cinéma d’horreur dans Saint Maud (2019) qu’on pouvait considérer comme un exercice de style très personnel où une infirmière littéralement habitée concentrait ses efforts pour sauver l’âme d’une danseuse atteinte d’une maladie incurable. Love Lies Bleeding transgresse les règles du film noir pour s’attacher à la passion de deux femmes dont l’une dirige une salle de sport, tandis que l’autre est championne de culturisme. Leur union va faire leur force face à des ploucs bas de plafond qui ont du mal à accepter leur “différence”. Un argument qui n’est pas sans évoquer celui du dernier film en solo d’Ethan Coen, Drive-Away Dolls, dans lequel l’homosexualité n’était traitée que comme un artifice sinon une concession à l’air du temps. Rose Glass l’érige au contraire en composante déterminante de son intrigue afin de l’inscrire dans une Amérique conservatrice où toute entorse aux conventions en vigueur stigmatise les tensions.
Katy O’Brian et Kristen Stewart
Rose Glass a choisi de situer Love Lies Bleeding dans les années 80, à ce moment où le culte du corps atteint une sorte de point de non-retour qui culminera avec le film Perfect (1985) aujourd’hui oublié où Jamie Lee Curtis campait une prof d’aérobic. Cette folie de la forme pas des formes est incarnée ici par la culturiste bourrée de stéroïdes qu’incarne l’animale Katy O’Brian dans une sorte de compromis hypertrophié entre la Super Jaimie bionique immortalisée naguère par Lindsay Wagner et les innombrables super-héroïnes qui déferleront sur les écrans au fil des décennies suivantes, au moment même où le féminisme s’impose dans le paysage de la société civile occidentale. Au point que ce personnage excessif finit par tirer le film vers le fantastique lorsque les circonstances l’y incitent. Face à elle, Kristen Stewart campe une amoureuse dont la vulnérabilité contraste avec cette puissance physique qui la fascine et l’impressionne, dans la mesure où elle constitue aussi son fond de commerce en qualité de patronne d’une salle de gym. La mise en scène se concentre plus particulièrement sur l’aspect visuel du film qui renvoie au cinéma des eighties en soignant les moindres détails et en accordant une place particulière aux seconds rôles parmi lesquels l’inénarrable Ed Harris en caïd soupe-au-lait. L’action ne prend jamais l’ascendant sur les sentiments qui finissent par nous submerger comme ils s’emparent de ce couple atypique en proie à une fureur aveugle. Ce film scandé par un accompagnement musical survitaminé est une pépite authentique qui confirme le potentiel prometteur de sa réalisatrice, jamais dans la demi-mesure, tant elle croit sincèrement à son sujet et trouve toujours le ton juste pour exalter la passion de ses interprètes.
Jean-Philippe Guerand
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