Film argentin d’Andi Nachón et Papu Curotto (2023), avec Carla Crespo, Susana Pampin, Antonella Saldicco, Lorenzo Crespo, Esteban Masturini, Agustín Rittano… 1h20. Sortie le 26 juin 2024.
Esteban Masturini et Carla Crespo
Veuve de Barby, la femme qui partageait sa vie, Julia doit faire face à des responsabilités imprévues quand León, le fils de sa compagne, mobilise l’empressement de sa belle-mère et le retour du père qui ne s’est jamais occupé de lui. Contrainte d’assurer la continuité du restaurant qu’elles ont fondé ensemble, elle doit combattre simultanément sur tous les fronts pour préserver son équilibre. Vaste sujet qui assume et même revendique son caractère mélodramatique en l’enchâssant dans le contexte contemporain d’une famille recomposée qui doit en outre s’assumer totalement malgré les regards de son entourage et dans une relecture radicale de la fameuse carte du Tendre. Coréalisé par Andi Nachón et Papu Curotto, un homme et une femme dont l’association contribue sans doute pour une bonne part à la vérité des sentiments évoqués, León témoigne de la liberté et de l’audace d’un cinéma argentin considéré désormais comme quantité négligeable par le président populiste Javier Milei élu en décembre dernier. La culture est devenue en effet sa cible de prédilection, sous couvert d’une rentabilité économique et d’un redressement moral qui vont de pair avec une détermination à faire taire les voix discordantes et à étouffer une liberté d’expression considérée comme un luxe de nantis. Le cas de ce film tourné auparavant s’avère d’autant plus caractéristique que l’homosexualité de ses protagonistes n’en est pas le sujet, mais tient lieu de contexte à une histoire d’amour absolue qui passe post mortem par la personnalité symbolique d’un petit garçon devenu l’enjeu malgré lui d’une rivalité au fond assez accessoire.
Andi Nachón et Papu Curotto déploient des trésors de délicatesse pour raconter cette histoire en s’efforçant de demeurer en permanence à la hauteur de ces personnages qui se disputent un gamin pour ne pas avoir à s’expliquer en adultes responsables. Le film repose sur des moments d’intimité universels davantage que sur des dialogues inutilement explicatifs. On y partage le désarroi de la survivante condamnée à la double peine : poursuivre sa route sans sa compagne qui se rappelle à elle à chaque instant et affronter les aléas du quotidien sous la menace de se voir séparée de ce petit garçon qui la relie à la disparue, à la fois parce qu’il est la chair de sa chair et parce qu’elle l’a toujours considéré comme son propre fils, contrairement à ce géniteur surgi de nulle part qui n’a de commun avec lui qu’une formule ADN. León propose une réflexion passionnante sur la notion même de parentalité au moment où la société est percutée par des questionnements de genre et une recomposition fondamentale de la notion même de famille. Une thématique qui fait ici davantage office de contexte que de sujet à proprement parler. Le scénario pourrait en effet être celui de ce qu’il était naguère convenu de qualifier de mélodrame bourgeois. À cette nuance près que sa transposition au sein d’un couple homosexuel introduit une notion supplémentaire, en pointant le vide juridique dont pâtit la survivante par rapport à la défunte dans le contexte d’une société encore cramponnée à un mode de fonctionnement traditionnel sinon archaïque. Reste que les questions que soulève ce film bourré de tact restent plus que jamais d’actualité, surtout dans une société menacée de régression sur le plan des mœurs.
Jean-Philippe Guerand
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