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“Le moine et le fusil” de Pawo Choyning Dorji



The Monk and the Gun Film bhoutano-taïwanais de Pawo Choyning Dorji (2023), avec Tandin Wangchuk, Kelsang Choejay, Deki Lhamo, Pema Zangmo Sherpa, Tandin Sonam, Harry Einhorn, Choeying Jatsho, Tandin Phubz, Yuphel Lhendup Selden… 1h52. Sortie le 26 juin 2024.





Le Bhoutan fait partie de ces territoires lointains qui s’éveillent au cinéma depuis quelques années en misant sur leur patrimoine et leurs traditions. Dans le cas précis de ce petit royaume niché dans les contreforts de l’Himalaya, entre l’Inde et la Chine, il ne s’est réellement ouvert au progrès qu’en se convertissant à la démocratie il y a une quinzaine d’années et possède de ce fait une capacité d’émerveillement assez communicative. Assistant de Bernardo Bertolucci sur Little Buddha et d’un véritable héros national, le pionnier Kyentse Norbu, lui-même révélé en Occident avec La coupe (1999), le lama Pawo Choyning Dorji s’est fait un nom avec son premier long métrage, L’école du bout du monde dans lequel il montrait un pays confronté à sa jeunesse et à son ouverture au monde. On retrouve cette même pureté de l’innocence dans Le moine et le fusil où il met en scène cette fois la rapacité que suscite cet état d’esprit chez des personnages mal intentionnés qui espèrent en tirer un profit immédiat, face à un saint homme pétri de simple bon sens. Ce tableau de mœurs plein d’ironie dérive ainsi volontiers sur un registre beaucoup moins idyllique qui montre que son auteur n'est jamais dupe ni de la situation qu’il décrit, ni de la naïveté présumée de ses compatriotes confrontés à des sentiments que leur foi profonde érigée en philosophie existentielle ne les avait pas nécessairement préparés à affronter. Le film résonne en cela comme un choc des cultures entre des bouddhistes élevés dans une religion fondée sur des valeurs positives et des influences étrangères toxiques qui menacent de contaminer voire de pervertir ces âmes charitables baignées d’altruisme.



Tandin Wangchuk (au centre)



Pawo Choyning Dorji a le mérite insigne de ne jamais se laisser dépasser par son sujet dont il exploite habilement les ressources en confrontant deux philosophies a priori incompatibles. Il l’aborde comme une sorte de conte philosophique où chacun reste dans son rôle, mais où l’opposition entre matérialisme cynique et idéalisme dépourvu d’arrière-pensée produit parfois des étincelles. Il nous propose en conséquence une réflexion sur l’incompatibilité fondamentale qui existe entre une nation baignée de valeurs éthiques élevées, qui a cru bon de substituer le concept du Bonheur intérieur brut au Produit intérieur brut, et un environnement pour le moins désabusé où le profit matériel est considéré depuis l’avènement du capitalisme comme une vertu cardinale. Une menace incarnée dans le film par un trafiquant d’armes minable venu d’ailleurs qui entend profiter de cette aubaine. Le moine et le fusil décrit cette confrontation délicate entre une société communautaire et les ravages de l’individualisme. Pas question toutefois pour le réalisateur de s’ériger en donneur de leçon. Il préfère se positionner en observateur attentif de ses compatriotes et procède avec les moyens du bord dans ce pays dépourvu d’infrastructures cinématographiques, en mobilisant à cet effet des interprètes non-professionnels qui n’ont aucun mal à rendre leurs personnages crédibles et attachants par leur naturel déconcertant. Il émane de ce film fascinant et bourré de charme une fraîcheur de bon aloi. Exotisme, sagesse, poésie et humour garantis.

Jean-Philippe Guerand






Tandin Wangchuk

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