Accéder au contenu principal

“Juliette au printemps” de Blandine Lenoir



Film français de Blandine Lenoir (2024), avec Izïa Higelin, Jean-Pierre Darroussin, Sophie Guillemin, Noémie Lvovsky, Eric Caravaca, Salif Cissé, Thomas de Pourquery, Liliane Rovère, Leny Morand… 1h36. Sortie le 12 juin 2024.



Jean-Pierre Darroussin, Noémie Lvovsky

Sophie Guillemin et Izïa Higelin



Quoi de plus risqué qu’un pèlerinage dans son passé pour émerger d’une dépression ? La réalisatrice d’Annie colère signe un portrait de groupe avec névroses et secrets de famille bien gardés où les apparences sont souvent trompeuses mais où les acteurs ont des rôles passionnants à défendre. Ce joli monde tourne autour de la trop rare Izïa Higelin, avec pour sœur la papillonnante Sophie Guillemin qui accomplit ces temps-ci un retour spectaculaire au premier plan, pour parents hautement perchés Jean-Pierre Darroussin et Noémie Lvovsky, séparés depuis des lustres mais toujours complices face à l’adversité, et pour grand-mère indigne l’exquise Liliane Rovère, peut-être la plus heureuse en amour malgré son grand âge. Une mosaïque humaine comme on les aime, où personne n’est tout à fait à sa place et ne dit vraiment ce qu’il pense, mais où le retour de la fille prodigue contribue à révéler au grand jour d’innombrables dysfonctionnements qui font de cette fausse famille modèle le creuset de bon nombre de frustrations individuelles. Avec en prime un amant de passage qui accepte d’assumer le rôle ingrat de consolateur éphémère, un canard domestiqué, pas mal d’humour et surtout une infinie tendresse qui affleure du moindre détail. Bref, la vie dans toute sa diversité revue et corrigée par la réalisatrice avec la complicité au scénario de Maud Ameline d’après une BD de Camille Jourdy, le tout au rythme de la musique composée par l’excellent Bertrand Belin.



Salif Cissé et Izïa Higelin



C’est à la faveur du succès de son film précédent sur un sujet social, l’IVG, Annie colère (2022), que la réalisatrice Blandine Lenoir a pu accélérer la cadence, malgré deux premiers films pourtant chargés de promesses, Zouzou (2014) et Aurore (2017), pour signer aujourd’hui une comédie de mœurs intemporelle et insouciante dont aucun des protagonistes ne va vraiment aussi bien qu’il le prétend. Et il faut le retour de la fille prodigue, elle-même en pleine dépression, pour que les masques tombent et que chacun de ces protagonistes accepte de faire face à ses démons sans aigreur ni pathos. Le mérite en revient à une réalisatrice qui a soigné son casting et accorde une égale attention à chacun de ses personnages, sans sombrer pour autant dans les conventions éculées du film choral et ses relations trop formatées. Le charme de Juliette au printemps est dû pour une bonne part à cette alchimie mystérieuse qui crée de saisissants instants de vérité à partir de situations parfois anodines. Elle-même comédienne, Blandine Lenoir tire le meilleur de ses interprètes en évitant de verser dans la complaisance des lieux communs. C’est en montrant tout ce qui les sépare, avec la complicité d’un temps assassin, qu’elle réussit paradoxalement à souligner que ce qui continue à les unir reste le plus puissant des ciments affectifs. La chronique sentimentale n’est en fait ici que le faux nez d’une réflexion sur l’usure que provoquent parfois les ans avec leur cortège de non-dits, de malentendus et d’incompréhension. Ce qui suffit à justifier en soi la célèbre formule “ Famille je vous aime, famille je vous hais ”. Tout un programme qu’illustre ce film à la fois extrêmement simple et terriblement compliqué.

Jean-Philippe Guerand






Jean-Pierre Darroussin et Izïa Higelin

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract