Film français d’Olivier Assayas (2024), avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine d’Urso, Maud Wyler, Dominique Reymond, Magdalena Lafont, Thomas Bodson… 1h45. Sortie le 19 juin 2024.
Vincent Macaigne
À l’annonce du confinement imposé en mars 2020, deux frères se retrouvent dans leur maison de campagne familiale de la vallée de Chevreuse avec leurs compagnes du moment. Une cohabitation qui les renvoie à leur jeunesse et réveille d’anciennes rancœurs. Olivier Assayas ne s’est sans doute jamais autant livré que dans ce huis clos à ciel ouvert inspiré par une situation hors du commun vécue par une bonne partie de l’humanité. Il confie son rôle à Vincent Macaigne et celui de son frère Michka, journaliste musical de renom, à Micha Lescot. Cette cohabitation contrainte sera taxée par certains de s’attacher à ces privilégiés hors-sol qu’il est d’usage de qualifier de “BoBos” parce qu’ils appartiennent à une élite intellectuelle controversée et manifestent des préoccupations qui ne sont pas exactement celles du commun des mortels, surtout dans un contexte aussi grave. Assayas a toutefois l’honnêteté de parler de ceux qu’il connaît et de passer outre sa pudeur naturelle en s’appuyant sur un prétexte universel pour aborder des thématiques extrêmement intimes. Hors du temps assume ses partis pris par son titre qui reflète l’exacte tonalité de cette étude de caractères dont les protagonistes vivent au fond un isolement de privilégiés dans une demeure magnifique où ils peuvent se consacrer à préparer des crêpes ou à deviser de philosophie depuis leur bulle d’indifférence. Le film induit en soi sa propre critique sur ce fameux entre- soi qu’il est de bon ton de reprocher au cinéma en tant que microcosme de privilégiés pour qui les désordres du monde comptent moins que leur cher nombril. Un grief un peu trop convenu pour se débarrasser de ce film, tant ce nombrilisme ponctuel a été largement partagé pour cause de pandémie.
Hors du temps s’attache à une sorte de parenthèse plus ou moins enchantée au cours de laquelle une bonne partie de l’humanité s’est retrouvée coupée brutalement de son collectif et renvoyée à sa solitude fondamentale. Le cinéma en a finalement assez peu témoigné jusqu’à présent. Sans doute pour une bonne part en raison de la lenteur qui préside à son processus de passage à l’acte conditionnée par des impératifs économiques à peu près universels. C’est ce qui explique que la poignée de films consacrés à ce jour au confinement évoque des rassemblements ponctuels en s’appuyant sur une dramaturgie théâtrale où l’isolement des protagonistes justifie qu’ils passent outre aux consignes sanitaires, à commencer par le port de ces masques chirurgicaux dont le principe même est contraire au glamour et à la célébrité qui constituent l’essence du cinéma. La pandémie de Covid-19 n’opère donc ici que comme un facteur d’isolement propice aux grands discours et à une sorte de repli philosophique, avec cet élément supplémentaire que représentent des retrouvailles où tout ce qui sépare les individus s’avère parfois plus profond que ce qui devrait les rapprocher. Là se trouve le véritable sujet de ce film qui traite des illusions perdues et des incompréhensions qui se creusent à notre insu. Si son quatuor se trouve hors du temps, il en subit toutefois les affres, notamment ces deux frères qui ont grandi ensemble, sont visiblement restés en contact, mais ne peuvent que constater que les travers de leur existence ont contribué à creuser leurs différences. Un propos universel abordé ici avec une réelle acuité qui illustre à bien des égards cette fameuse antienne d’Ingmar Bergman (l’une des idoles d’Assayas) selon laquelle “ On naît sans but, on vit sans comprendre, et on meurt anéanti”.
Jean-Philippe Guerand
Tu donnes très envie de le voir! Merci, JO
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