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“Excursion” d’Una Gunjak



Ekskurzija Film bosno-croato-norvégo-serbe d’Una Gunjak (2023), avec Asja Zara Lagumdžija, Nada Spaho, Maja Izetbegovic, Mediha Musliovic, Izudin Bajrovic… 1h34. Sortie le 12 juin 2024.



Asja Zara Lagumdžija



L’adolescence ressemble moins à un jardin de roses qu’à une épreuve de vérité souvent redoutable. C’est l’expérience que traverse une adolescente de Sarajevo qui confie à ses camarades au cours du jeu action ou vérité qu’elle a fait l’amour pour la première fois. Une confession spontanée qui va se refermer sur elle comme un piège. Si ses copines les plus proches l’entourent de leur affection, certains autres élèves moins bien intentionnés entreprennent de la stigmatiser et de la harceler en mettant en cause sa responsabilité, alors même qu’elle manifeste des symptômes qui pourraient être ceux d’une grossesse non désirée et que se prépare un voyage scolaire qui attise déjà en soi les passions en suscitant de nouvelles interrogations quant à la confrontation des jeunes gens à des menaces inconnues à géométrie variable en terre étrangère. Tout l’intérêt d’Excursion repose sur sa détermination à ne jamais dévier de son point de départ et à en épuiser les multiples développements sans aucune complaisance. Cette chronique générationnelle est un portrait saisissant de cette période charnière de l’existence où les enfants ne sont pas encore tout à fait des adultes, mais se trouvent parfois confrontés malgré eux à des questionnements abyssaux, alors qu’au même âge, ils ne sont pas tous à un stade de leur croissance identique et que leur entourage familial s’avère souvent défaillant sinon absent. Un décalage troublant qui exacerbe les sentiments mais aussi les antagonismes, en substituant à la pseudo insouciance de la jeunesse des réactions nettement moins glorieuses.



Asja Zara Lagumdžija (au centre)



Ce film bosniaque aborde un thème universel en choisissant pour épicentre une adolescente réservée et peu loquace qui devient malgré elle le bouc émissaire de ses camarades en raison des mots qu’elle a prononcés imprudemment. Avec pour effet immédiat de l’auréoler d’un prestige illusoire qui va se retourner contre elle et attiser les jalousies et des sentiments encore moins glorieux au sein d’une communauté déjà déchirée par ses contradictions et ses antagonismes les plus basiques. La réalisatrice décrit son personnage principal comme une adolescente blonde, élancée et réservée dont tous les attributs vont peu à peu devenir des abcès de fixation pour les autres élèves qui la stigmatisent autant qu’ils la jalousent d’avoir pris de l’avance par rapport à eux, en lui collant une enquête de “fille facile” qui peut paraître de prime abord un peu vieillotte, mais s’inscrit ici dans le cadre d’une société archaïque où les antagonismes religieux et moraux demeurent encore très présents. Dès lors, le film est bien davantage qu’un simple portrait de l’adolescence et de ses tourments : la description d’une communauté que le moindre prétexte peut transformer en un véritable champ de bataille, en mettant à jour de multiples antagonismes qui n’ont besoin que d’une étincelle pour s’embraser. Avec les débas interminables que suscite ce voyage scolaire qui mettent en évidence un climat délétère d’incompréhension. Excursion est le portrait de groupe moins tendre que cruel d’une jeunesse façonnée par les haines recuites de ses aînés. Comme l’ébauche d’un paysage avant la bataille qui coïncide ici avec le passage à l’âge adulte et la transition douloureuse entre la fille et la femme.

Jean-Philippe Guerand






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