Richelieu Film canado-français de Pier-Philippe Chevigny (2021), avec Ariane Castellanos, Marc-André Grondin, Nelson Cronado, Ève Duranceau, Gerardo Miranda, Antonio Ortega, Micheline Bernard, Luis Oliva, Maria Mercedes Coroy, Denis Marchand, Carlos Guerra, Émile Schneider-Vanier, Nicolas Berno, Hubert Prouix, Brandon López… 1h29. Sortie le 5 juin 2024.
Ariane Castellanos et Marc-André Grondin
Une interprète engagée dans une usine québécoise afin de servir d’intermédiaire entre la main d’œuvre guatémaltèque et la direction se rend compte des conditions de travail indignes que subissent ces ouvriers précaires et corvéables à merci en les soutenant discrètement. Magnifique sujet qui touche par son caractère universel en soulignant le poids des mots lorsqu’il s’agit de traduire des maux. Au sein d’un cinéma occidental qui semble avoir renoncé au fil des années à sa fonction de dénonciation sociale et politique, Dissidente a le mérite de remettre les pendules à l’heure en pointant une situation au fond assez répandue à une époque où les vastes mouvements de population du Sud vers le Nord condamnent les migrants à la précarité en réduisant comme peau de chagrin des avancées sociales qu’on croyait pérennes. C’est dans cet univers impitoyable que se déroule cette histoire pas si simple traitée par le réalisateur Pier-Philippe Chevigny sans jamais céder à la tentation du manichéisme. Il choisit pour cela une femme placée dans une situation d’écoute ô combien délicate, que la direction essaie de manipuler, mais à qui sa position stratégique permet de prendre le parti des plus faibles à l’insu même de ses employeurs. Avec ce paradoxe qui veut qu’à la fin du film, quand les ouvriers repartent dans leur pays, leur mission accomplie, l’un d’eux lui promet de l’accueillir pour lui faire visiter un jour la terre de ses ancêtres où elle serait sans doute considérée comme une étrangère. Un joli paradoxe qui reflète l’esprit de ce film idéaliste et généreux porté par un salubre vent de révolte.
Ariane Castellanos
Triplement primé au festival de Saint-Jean-de-Luz, Dissidente témoigne de l’intérêt que porte son réalisateur au documentaire, tout en s’appuyant sur une structure narrative très solide nourrie des innombrables témoignages de travailleurs étrangers temporaires qu’il a recueillis sous couvert d’anonymat. Une situation que la pandémie de Covid a mise en lumière et qu’un rapport spécial de l’ONU a qualifiée au moment de la sortie du film au Québec de “ terreau fertile pour l’esclavage moderne ”. L’une des principales qualités de cette chronique engagée consiste à tirer de la situation qu’elle décrit une réflexion plus vaste quant au fonctionnement même du monde du travail et à la complicité induite des consommateurs qui cherchent à payer toujours moins ce qu’ils achètent en refusant d’assumer les conséquences qu’implique cette exigence sur ceux qui se situent à l’autre extrémité de la chaîne. Cette histoire repose en outre sur le charisme de deux comédiens indissociables de leurs rôles : la brillante Ariane Castellanos et le caméléon Marc-André Grondin vu récemment dans le rôle-titre du Successeur de Xavier Legrand. Au sein d’un cinéma qui recule chaque année un peu plus sur le front de l’engagement, ce film milite non seulement pour une cause juste, mais aussi contre l’inanité d’un capitalisme décomplexé qui renoue en toute impunité avec des pratiques au fond pas si éloignées que cela de l’esclavagisme où les travailleurs immigrés sont priés de retourner dans leur pays d’origine une fois leur tâche accomplie dans des conditions en contradiction avec toutes les avancées sociales. À prendre ou à laisser !
Jean-Philippe Guerand
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