Film franco-belge d’Éléonore Saintagnan (2023), avec Éléonore Saintagnan, Anna Turluc’h, Jean-Benoît Ugeux, Rosemary Standley, Wayne Standley… 1h10. Sortie le 26 juin 2024.
Éléonore Saintagnan
La magie du cinéma réside aussi dans sa diversité qui en arrive à gommer ses conditions économiques et techniques pour n’en retenir qu’un ultime juge de paix : l’imagination. Le premier long métrage d’Éléonore Saintagnan en témoigne par une modestie de moyens mise au service d’un récit d’une rare liberté. L’affaire débute comme un documentaire un rien nombriliste qui voit une jeune femme (incarnée par la réalisatrice en personne) victime d’une panne de voiture et contrainte de modifier ses plans en trouvant refuge dans un camping en basse saison où sont venus échouer des personnages multiples et variés. Là, elle va prendre goût à cet imprévu, s’attarder sans se forcer et en profiter pour dresser une sorte d’état des lieux de sa vie en vrac, coupée de tous ses repères familiers dans une Bretagne pas vraiment digne d’une carte postale. Jusqu’au moment où elle va se retrouver littéralement happée par ce cadre bucolique auréolé d’une légende providentielle colportée de génération en génération, en la personne d’une créature lacustre que personne n’a vue mais qui pare ce site pittoresque dépourvu de glamour d’une modeste aura propice au tourisme. Le film brise ainsi les codes du cinéma intimiste pour se frotter au fantastique, toujours avec les justes moyens techniques et esthétiques. Éléonore Saintagnan assume ce mélange des genres sans vergogne, mais avec une réelle poésie, jamais mièvre ni naïve. Il ne lui faut pas plus de soixante-dix minutes pour nous entraîner dans un univers imprévisible où à peu près tout peut arriver sans crier gare.
Camping du Lac repose sur la capacité de son actrice-réalisatrice à nous séduire à partir d’un décor champêtre qui révèle petit à petit des ressources merveilleuses insoupçonnées. Avec la morale écolo dont est porteuse cette étude de mœurs selon laquelle certaines légendes devraient le rester et que quand il leur arrive de se réaliser, une réalité moins glorieuse se charge de briser nos rêves les plus fous. Son propos polyphonique nous entraîne ainsi dans une autre dimension où le dérèglement climatique a le pouvoir de réduire nos fantasmes à néant. Le film se garde toutefois d’en tirer la moindre morale, mais possède cette faculté rare qui consiste à dériver progressivement d’un point de vue nombriliste à une parabole sur l’état d’un monde en sursis. Une trajectoire audacieuse que la cinéaste parcourt sans complexes en osant à peu près tout, y compris la poésie. Souhaitons qu’elle persévère dans cette voie et conserve sa fraîcheur qui ne s’apparente en aucun cas à de la naïveté, mais plutôt à une lucidité qui résonne comme un cri du cœur sans jamais verser dans la mélancolie. Avec en prime ici un véritable message écologiste qui fait toute la différence en tirant le film vers un merveilleux teinté d’une certaine amertume qui évoque celui d’un autre film, brésilien celui-là, sorti il y a deux mois, Sans cœur de Nara Normande et Tião. Comme si le réchauffement de la planète devenait une sorte de carburant propice à stimuler l’imagination en l’entraînant vers de nouveaux territoires inexplorés.
Jean-Philippe Guerand
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