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“Une autre vie que la mienne” de Malgorzata Szumowska et Michal Englert



 

Kobieta Z… Film polono-suédois de Malgorzata Szumowska et Michal Englert (2023), avec Malgorzata Hajewska, Joanna Kulig, Jacek Braciak, Mateusz Więclawek, Bogumila Bajor, Jerzy Bonczak, Anna Tomaszewska, Renata Dancewicz, Franciszek Englert, Mikolaj Chroboczek, Tomasz Schuchardt, Mikolaj Grabowski, Helena Sujecka, Krystyna Krotoska… 2h04. Sortie le 29 mai 2024.




Malgorzata Hajewska et Joanna Kulig



Ceci est une histoire vraie… comme souvent au cinéma. À cette nuance près que si celle-ci cadre avec la marche du temps, elle se déroule dans un contexte pour le moins défavorable : la Pologne des années 80 où le communisme n’en finit pas d’agoniser sous les assauts du syndicat Solidarnosc et son leader charismatique Lech Walesa. À cette nuance près que la liberté des mœurs n’est pas vraiment la priorité de ce mouvement ouvrier qui va contribuer à provoquer l’effondrement du Rideau de Fer et rallier un peuple puis d’autres aux tentations de la société de consommation. Andrzej, lui est un mari et un père hanté par une certitude intime : il n’est pas vraiment l’homme que les autres croient voir en lui. Alors, petit à petit, avec la complicité de son épouse compatissante, il va prendre le risque d’assumer ce que lui dicte sa nature profonde, quitte à mener une double vie afin d’échapper aux gardiens de la morale, les catholiques n’étant pas franchement plus ouverts d’esprit aux questions de genre que les camarades communistes tombés en disgrâce. C’est dans cette société rigoriste pour ne pas dire rétrograde que cet homme qui se sent femme parie sur son bonheur et va tenter de trouver sa place, même s’il se sent entravé dans une enveloppe corporelle qui ne lui appartient pas.



Malgorzata Hajewska et Joanna Kulig



Sujet audacieux pour un mélodrame réalisé dans les règles de cet art qui s’attache avec une infinie pudeur aux affres de cette femme contrainte d’assumer son apparence de mâle dans une société patriarcale oppressante. Une autre vie que la mienne aborde ce sujet de société avec une infinie délicatesse et davantage de sensibilité que d’esprit polémique. Son héroïne n’aspire qu’à être heureuse et à vivre en accord avec sa nature profonde, sans jamais chercher à provoquer ses concitoyens ni à user du prosélytisme. Une quête de bonheur qui passe par la complicité hors du commun de son épouse et quatre décennies d’une société polonaise polarisée où le chiffon rouge des mœurs n’a cessé d’être agité par le pouvoir politique comme par l’Église galvanisée par la chute du communisme. Ce film réalisé par un duo composé d’un homme et d’une femme trouve toujours la juste distance par rapport à son sujet et s’en remet pour une bonne part à la composition de son interprète principale, l’actrice Malgorzata Hajewska que la réalisatrice Malgorzata Szumowska dirige pour la troisième fois, mais la première en vedette. Un choix d’autant plus pertinent qu’on ne doute jamais que ce personnage assigné à un corps d’homme soit en fait une femme contrariée. C’est même ce qui donne toute sa puissance à cette étude de mœurs dans laquelle Joanna Kulig tient le rôle ingrat de l’épouse bafouée mais finalement complice. Le mérite de cette étude de mœurs souvent poignante est d’épouser le point de vue de sa protagoniste en soulignant sa détresse la plus intime, dans un contexte où la compassion n’est presque jamais de mise et où le regard des autres la transforme volontiers en bête curieuse, là où elle n’aspire qu’à être ce qu’elle considère comme elle-même. L’initiative est pour le moins audacieuse.

Jean-Philippe Guerand






Malgorzata Hajewska

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