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“Mon pire ennemi” de Mehran Tamadon



Documentaire franco-suisse de Mehran Tamadon (2023), avec Zar Amir Ebrahimi, Mehran Tamadon, Taghi Rahmani, Mojtaba Najafi, Soheil Rassouli, Hamid Kalani, Hamze Ghalebi… 1h22. Sortie le 8 mai 2024.



Mehran Tamadon et Zar Amir Ebrahimi



Iranien réfugié en France, Mehran Tamadon se fait une très haute idée du cinéma qui constitue pour lui un champ d’expérimentation infini. Il s’en sert dans Mon pire ennemi pour confronter des victimes à leurs bourreaux afin d’extraire la catharsis de leurs crimes. Il choisit pour cela la voie du documentaire plutôt que celle de la fiction en optant pour ce qu’il est convenu de qualifier de cinéma du réel. La caméra est pour lui un véritable détecteur de mensonges dont la présence ne doit pas interférer sur les comportements de ses sujets, mais plutôt les mettre en confiance et les encourager à reproduire leurs actes, y compris les plus méprisables. Il se met ici lui-même dans la peau de la victime en demandant à des personnes inquiétées par le régime de lui infliger les mauvais traitements et autres sévices qu’elles ont subis. Un dispositif d’autant plus efficace qu’il met à jour des réflexes conditionnés qui renvoient à la fois à certains travaux de Wilhelm Reich et à la fameuse expérience menée par Stanley Milgram au début des années 60 qui a inspiré Henri Verneuil dans I… comme Icare (1979). Tamadon, dont sort le 15 mai un autre film intitulé Là où Dieu n’est pas, n’entend pas susciter chez le spectateur une réaction de dégoût ni même une sensation de nausée, mais plutôt le sensibiliser à des pratiques institutionnalisées qui se poursuivent depuis des lustres dans une parfaite impunité, sous couvert d’une loi du silence criminelle que protègent les Gardiens de la Révolution omniprésents.



Mehran Tamadon et Zar Amir Ebrahimi



Cette tentative de reconstitution et du processus mental qui l’accompagne atteint toutefois une sorte de point limite à travers la confrontation du réalisateur avec l’actrice Zar Amir Ebrahimi, réfugiée elle aussi en France et couronnée du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2022 pour sa composition dans Les nuits de Mashhad d’Ali Abbasi. Ce jeu avec le feu auquel nous convie Mon pire ennemi a le mérite de mettre des images, des sons, des sentiments et des sensations sur une situation dont l’actualité traditionnelle ne nous a jamais fourni d’éléments tangibles. Or, dans notre monde surmédiatisé, ce qui n’est pas montré n’existe pas, même si cette absence calculée est le résultat d’une entreprise étatique de négationnisme qui consiste à reproduire la stratégie des Nazis en effaçant toutes traces visuelles ou sonores de leurs crimes. Il n’existe en effet des sévices infligés à son peuple par le régime des Mollahs que des témoignages épars émanant des rescapés, pour peu qu’ils soient parvenus à s’exiler. C’est à partir de ceux-ci que Mehran Tamadon choisit de nous confronter à cette vérité cachée. Une démarche audacieuse et risquée qui entend exposer aux yeux du monde ce qu’un pouvoir impitoyable met tant d’efforts à occulter depuis des années en utilisant la fameuse loi du silence à la manière du plus redoutable des tueurs en série. Une contribution mémorielle de salubrité publique qui s’inscrit par sa démarche bouillonnante et inventive dans la lignée des films consacrés par Claude Lanzmann et Rithy Panh à perpétuer la mémoire de la Shoah et du génocide des Khmers Rouges.

Jean-Philippe Guerand






Mehran Tamadon et Zar Amir Ebrahimi

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