Film français de Quentin Dupieux (2024), avec Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Manuel Guillot, Françoise Gazio… 1h20. Sortie le 14 mai 2024.
Louis Garrel et Vincent Lindon
Adepte des films-concepts, le prolifique Quentin Dupieux propose une autre image de la comédie à la française qui mise sur une imagination débridée aux confins du surréalisme et un talent très personnel en tant que directeur d’acteurs. Deux qualités qu’on trouve une nouvelle fois réunies dans Le deuxième acte autour de la rencontre dans un improbable restoroute du bout du monde d’un père (Vincent Lindon) et de sa fille (Léa Seydoux) avec le petit ami de celle-ci (Louis Garrel) et son meilleur copain (Raphaël Quenard). En deux longs plans séquences des tandems cheminant vers leur rendez-vous, le cadre est posé. Et puis, de temps à autre, les protagonistes semblent s’adresser à un interlocuteur hors-champ car ils sont en fait les interprètes d’un film où les répliques de leurs personnages sont ponctuées de considérations plus personnelles. Un jeu de rôles qui confronte les dialogues écrits aux états d’âme de ces acteurs qui apparaissent très vite au mieux vaniteux, au pire aigris. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’on aura le fin mot de ce tournage dont les techniciens sont invisibles. Le deuxième acte apparaît dans la carrière du réalisateur comme le pendant d’un de ses films les plus ambitieux : Réalité (2014). C’est aussi, et c’est ce qui légitime pleinement sa sélection en ouverture du Festival de Cannes, une mise en abyme vertigineuse du cinéma dont on finit par ne plus savoir quel est le niveau de lecture exact. Une démarche qui évoque aussi celle de Michel Blanc dans Grosse fatigue, présenté quant à lui à la même place il y a tout juste trente ans.
Léa Seydoux et Raphaël Quenard
Comme souvent au fil de son œuvre, Quentin Dupieux met un malin plaisir à nous égarer à partir d’un postulat d’une simplicité assumée. Car derrière les personnages, il y a des acteurs qui mènent eux-mêmes des vies privées très différentes de l’image qu’en renvoient leurs personnalités médiatiques. Comme si le metteur en scène se délectait d’entremêler ces différents niveaux de lecture. À l’instar du patron de ce fameux Deuxième acte dans lequel ils se sont donné rendez-vous qui met sur le compte de son trac de figurant la tremblote qui l’agite lorsqu’il doit exécuter un geste aussi anodin que de verser du bourgogne dans des verres. À son habitude, Dupieux a le chic pour faire débouler au beau milieu de ses vedettes un acteur inconnu qui va connaître son moment de gloire, en l’occurrence ici l’excellent Manuel Guillot. Il faut attendre la fin du film pour comprendre son enjeu véritable. Dupieux se fait alors moraliste pour mettre en garde ses confrères contre la menace qui les guette. Avec un travelling arrière final absurde qui suit des rails interminables dont la simple pose dans les règles de l’art a de quoi faire faire des cauchemars aux machinistes les plus endurcis. C’est par sa capacité illimitée à rire du cinéma, de son protocole et de ses rituels que Quentin Dupieux parvient à honorer une fois de plus son statut d’auteur inclassable en reconstruisant le quatrième mur cher au théâtre dont il se plaît à subvertir les codes en les recyclant à sa manière.
Jean-Philippe Guerand
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