Accéder au contenu principal

“La morsure” de Romain de Saint-Blanquat



Film français de Romain de Saint-Blanquat (2023), avec Léonie Dahan-Lamort, Lilith Grasmug, Fred Blin, Cyril Metzger, Maxime Rohart, Vincent Bellée, Nathan Chapuis-Guntzburger, Virginie Picard, Jean Barrier, Ludivine Anberrée, Camille Roesch, Sarah Viennot… 1h27. Sortie le 15 mai 2024.



Léonie Dahan-Lamort et Lilith Grasmug



Au cours du mercredi des Cendres de 1967, deux lycéennes s’échappent de leur pensionnat religieux pour profiter de cette nuit comme si elle devait être la dernière. Au fil de leurs rencontres, elles vont vivre une expérience aussi étrange qu’intense avec pour objectif ultime un manoir isolé où se déroule une fête plutôt décadente… De ce postulat au fond assez rudimentaire, Romain de Saint-Blanquat tire un film très original qui met un soin maniaque à capter l’état d’esprit d’une province française qui s’ennuie et où la jeunesse ronge son frein en attendant des lendemains plus excitants. La singularité de cette étude de mœurs est de trancher à peu près autant avec le cinéma de l’époque qu’avec celui d’aujourd’hui. On peut y voir un exercice de style sophistiqué qui capte à merveille l’atmosphère de l’époque dans un saisissant film vintage vu à travers les yeux de deux adolescentes dont la réclusion a exacerbé la frustration de liberté et l’envie de prendre du plaisir. D’emblée, on est saisi par le soin minutieux apporté à reconstituer cette époque charnière associée pour une bonne part à la libération des mœurs. Des voitures aux coiffures, le moindre détail contribue à donner le sentiment de voir un film tourné à l’époque à laquelle il se déroule, alors même qu’il prend pour cadre des lieux relativement intemporels.



Maxime Rohart et Léonie Dahan-Lamort



Comme son titre le souligne, La morsure revendique son statut de film de genre en lorgnant ostensiblement du côté du cinéma gothique britannique à travers deux personnages masculins auréolés de mystère et ces deux jeunes vierges au teint diaphane comme on en croise fréquemment dans les films de vampires de la Hammer, mais aussi dans certains gialli italiens auxquels la bande originale se réfère. L’une de ces héroïnes se voit même brûlée vive au cours d’un cauchemar hautement symbolique qu’elle interprète même comme prémonitoire. Avec à la clé cette nuit fantastique sur laquelle plane la mort et qui va transformer en urgence vitale la nécessité d’effectuer l’apprentissage de l’amour. Au-delà de son intrigue, réduite en fait à sa plus simple expression, le premier long métrage de Romain de Saint-Blanquat fascine par le soin méthodique qu’il consacre à reconstituer une période vintage qui cultive une ambiguïté savamment entretenue, sans qu’on sache toujours si le spectacle auquel on assiste appartient à la réalité ou relève du fantasme, tant il sème de petits cailloux blancs. Avec aussi une référence plus souterraine mais évidente à un film sulfureux devenu culte chez les amateurs, Mais ne nous délivrez pas du mal (1971) de Joël Séria, avec lequel il cultive bon nombre d’analogies. C’est dire combien on évolue ici dans un univers fascinant.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract