Film français de Nora Hamdi (2023), avec Kenza Moumou, Marin Fabre, Mohammed Benazza, Oussem Kadri, Baya Rehaz, Dominique Jambert, Chrystelle Dominguez, Jeanne Guinebretière, Peter Lamarque, Vincent Mangado, Julia Gicquel… 1h27. Sortie le 8 mai 2024.
Kenza Moumou et Mohammed Benazza
La vie de bohème : thème éternel qui a inspiré bon nombre d’artistes au fil du temps. Nora Hamdi jette quant à elle son dévolu sur une jeune artiste en quête de notoriété qui se cloître littéralement dans son atelier, au risque de se couper du monde des vivants et prend ainsi le risque de ne pas profiter de sa jeunesse avant qu’elle ne s’envole. Pour pouvoir bénéficier d’un logement, Yasmine Belhifa doit franciser son nom de famille, ce qui déclenche un véritable traumatisme identitaire en elle. Ses parents étant morts pendant la guerre civile qui a ravagé l’Algérie à l’époque de sa naissance, elle a été élevée par un oncle installé en France avec sa famille qui n’a pas pu lui dire grand-chose de cette tragédie fondatrice. Alors, en se réfugiant dans la peinture, elle espère faire émerger la vérité autrement et pouvoir assumer enfin sa véritable identité. Par ailleurs romancière, la réalisatrice Nora Hamdi s’est fait remarquer avec ses deux premiers longs métrages, Des poupées et des anges (2008) et La maquisarde (2019). Elle porte cette fois à l’écran son troisième roman paru en 2011 qui retrace sa propre arrivée à Paris à une période où elle se destinait elle-même à devenir peintre. La couleur dans les mains affiche tous les signes extérieurs du film d’apprentissage en s’appuyant sur la composition de son interprète principale omniprésente, Kenza Moumou. On y retrouve les conventions en usage adaptées à un sujet universel qui brasse en fait de vastes questions sur cette période qui mène de l’adolescence à l’âge adulte où il est encore permis de rêver, mais à condition de prendre en compte les impératifs les plus concrets de la vie afin de gagner son droit à l’indépendance.
Kenza Moumou et Marin Fabre
Yasmine pâtit d’une sorte de double peine. En tant qu’artiste, elle est assujettie au regard des autres et doit donc réussir à plaire sans pratiquer la moindre compromission par rapport à la très haute idée qu’elle se fait de la peinture. Par ailleurs, sur un plan plus personnel, il lui faut se mettre en paix avec ses fêlures les plus intimes et partir en quête de ses origines pour pouvoir affronter l’avenir en toute sérénité. Un double défi que le film aborde avec une grande justesse et sans jamais succomber à une solennité excessive. Il y a quelque chose de la simplicité des dernières chroniques de Philippe Garrel dans ce portrait de femme en devenir qui poursuit son rêve en se mettant en réserve de sa génération, quitte à se complaire dans une réclusion choisie qui élève la démarche artistique à une forme de sainteté. Une expérience que Nora Hamdi a vécue et qui lui permet aujourd’hui d’en décrire le processus avec une grande justesse, qu’il s’agisse du doute créatif ou de la démarche artistique proprement dite. Le tout dans une solitude toujours délicate à traduire au cinéma, surtout quand elle choisit de s’affranchir de l’usage de la voix off et autres artifices inutiles. La mise en scène témoigne d’une rigueur et d’une maturité qui conviennent particulièrement bien à ce propos et s’interdisent toute complaisance. Au-delà de la simple chronique, ce film délicat joué par des interprètes inconnus propose une réflexion passionnante sur la notion même d’identité au sein d’un monde occidental qui ne s’accommode des gens d’origine étrangère que s’ils consentent à françiser leur patronyme sur une boîte à lettres pour ne pas rebuter les autres habitants. Un constat effarant mais bien réel.
Jean-Philippe Guerand
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