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“Foudre” de Carmen Jaquier



Film suisse de Carmen Jaquier (2023), avec Lilith Grasmug, Mermoz Melchior, François Revaclier, Sabine Timoteo, Barbara Tobola, Marco Calamandrei, Noah Watzlawick, Benjamin Python… 1h32. Sortie le 22 mai 2024.



Lilith Grasmug



Été 1900, au fin fond d’une vallée du Valais. Une jeune fille qui s’apprêtait à prononcer ses vœux au terme de cinq années passées dans un couvent coupé du monde est appelée à retourner parmi les siens afin de pallier la soudaine disparition de sa sœur aînée et assumer ses nouvelles responsabilités familiales. Un retour à la vie normale qui coïncide chez elle aux tourments traditionnels de l’adolescence, mais où sa longue absence a creusé un profond fossé avec le milieu campagnard dont elle est issue. Un sujet singulier qui pourrait même paraître exotique s’il ne s’attachait pas à une époque et à un monde au fond assez peu représentés au cinéma sinon dans quelques films pittoresques et certaines adaptations de l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz. Inutile de préciser qu’on se trouve ici dans des alpages comparables à ceux qui servent de cadre aux aventures de la fameuse Heidi, lesquelles se déroulaient quant à elles une vingtaine d’années plus tôt. Le monde que décrit Foudre est dominé par la frustration et la menace tutélaire qu’exerce l’enfer. La foi y est associée à la peur du châtiment suprême et à des superstitions irrationnelles indissociables de la frustration sexuelle infligée aux femmes par une société rigoriste. C’est donc dans un univers très particulier que nous propulse Carmen Jaquier en compagnie d’une jeune fille à l’orée de l’âge adulte confrontée à des responsabilités auxquelles elle ne s’est jamais préparée.





La réalisatrice dit s’être inspirée de la lecture des carnets de son arrière-grand-mère pour dessiner le portrait de son personnage principal dans le contexte d’une société dominée par les hommes. Elle a toutefois choisi de mettre en scène ce sujet sans céder à la tentation du pittoresque associée généralement à la reconstitution. Les références sont d’ailleurs deux autres réalisatrices contemporaines : Jane Campion et Andrea Arnold. Et le fait est qu’on retrouve dans Foudre des échos d’Un ange à ma table (1990) en ce qui concerne l’atmosphère familiale et de Fish Tank (2009) pour ce qui relève de l’adolescence. Difficile, en outre, de ne pas mentionner l’intensité de la composition de Lilith Grasmug, aux antipodes de son rôle récent dans La morsure. Elle embrase de l’intérieur son personnage et donne à sa soif de désir, qui passe par le baiser plutôt que par la copulation, une dimension universelle d’où est exclue toute perversité. La société que dépeint Carmen Jaquier dans son premier long métrage en solo se situe comme à l’écart du monde traditionnel, dans un univers qui perpétue un mode de vie à bien des écarts obsolète, mais qui répond aux dogmes de la religion. Les femmes y sont niées en tant qu’êtres humains et assujetties à un statut d’objet reproducteur. Une vision saisissante qui confère à ce portrait de groupe avec dames une rare intensité par sa vision d’une jeunesse solidaire face à un héritage qu’elle refuse en bloc, tant il symbolise le refus de l’avenir et surtout d’une évolution des mœurs trop longtemps ignorée. Une démonstration toute en finesse que subliment les images somptueuses ciselées par Marine Atlan en intégrant avec un soin particulier la puissance des éléments dans un monde qui leur accordait encore une signification particulière.

Jean-Philippe Guerand







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