Film canadien d’Anaïs Barbeau-Lavalette (2022), avec Denis Ménochet, Kacey Rohl, K. C. Collins, Peter Bryant, Jhaleil Swaby, Chip Chuipka, Laurence Lemaire, Melissa Toussaint, Michaëna Benoit, Pascal Tshilambo, Véronique Verhoeven… 1h36. Sortie le 22 mai 2024.
Denis Ménochet
On s’en souvient, il y a tout juste quarante ans, Samuel Fuller avait tiré une première adaptation très libre du roman de Romain Gary sous le titre Dressé pour tuer, White Dog en anglais. L’héroïne en était une jeune femme qui recueillait un chien qu’elle avait renversé avec sa voiture et réalisait qu’il s’agissait d’un animal conditionné pour attaquer les personnes de couleur, en fonction d’une tradition datant de l’ère de l’esclavage où des animaux étaient conditionnés pour rattraper les fuyards. La réalisatrice québécoise Anaïs Barbeau-Lavalette a décidé quant à elle de revenir au livre publié en 1970 dont les personnages principaux n’étaient autre que l’écrivain lui-même et son épouse, l’actrice Jean Seberg, dans le contexte d’une Amérique abrasive traumatisée par les assassinats successifs du pasteur Martin Luther King et du candidat aux élections présidentielles Robert Kennedy où l’héroïne aux cheveux courts d’À bout de souffle milite aux côtés des défenseurs de la lutte pour les droits civiques. Chien blanc est tout à la fois la chronique d’une époque, l’autobiographie d’un couple en crise et l’évocation d’un pays qui n’est pas parvenu à effacer les vestiges de son racisme originel. Il repose par ailleurs pour une bonne part sur la composition saisissante de ses deux interprètes principaux : l’impérial Denis Ménochet qui compose un Romain Gary conforme à sa légende et l’actrice canadienne Kacey Rohl aussi fragile que déterminée dans le rôle de Jean Seberg, actrice atypique dont la modernité a brisé les codes en vigueur par son refus de se couler dans le moule des studios après deux rôles en vedette chez Otto Preminger qui l’avaient propulsée au rang de star hollywoodienne instantanée.
Kacey Rohl
Connue en France pour un film d’apprentissage magnifique, La déesse des mouches à feu (2020), Anaïs Barbeau-Lavalette choisit de traiter toutes les facettes de son sujet sans se dérober devant les difficultés considérables qu’il impliquait. Ménochet appréhende ainsi les multiples aspects de son personnage avec son autorité naturelle dans une Amérique où il a été consul général de France à Los Angeles entre 1956 et 1960, mais où dix ans plus tard la contestation soixante-huitarde contre la guerre du Vietnam est à son comble. L’habileté du film consiste à jouer simultanément sur ces différents registres, tout en montrant un couple en train de se dissoudre. Dotée d’une expérience considérable en qualité de documentariste, la réalisatrice ne se dérobe jamais devant les difficultés qu’implique son sujet et fait de ce fameux chien blanc le révélateur des différentes crises qu’elle évoque. Le film n’est pas en cela une parabole ou une métaphore, comme la version de Fuller, mais plutôt la chronique d’une époque au fond assez rarement évoquée au cinéma qui constitue en outre le miroir à peine déformé de la nôtre, tant l’Amérique a peu appris de ses erreurs et le trumpisme a flatté ses plus bas instincts en la renvoyant vers son passé. Il n’est sans doute pas innocent que ce film ait été initié au Canada. Pas si sûr que le cinéma américain aurait eu l’audace de le produire, tant il brasse de thématiques toujours d’actualité. Chien blanc confirme enfin le talent de sa réalisatrice à appréhender la vérité intime de ses protagonistes.
Jean-Philippe Guerand
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