Film franco-belge de Stéphanie di Giusto (2023), avec Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay, Guillaume Gouix, Gustave Kervern, Juliette Arlmanet, Anna Biolay, Lucas Englander, Eugène Marcuse, Serge Bozon… 1h55. Sortie le 10 avril 2024.
Nadia Tereszkiewicz et Benoît Magimel
Dans la France tout juste convalescente de la guerre de 1870, un cafetier endetté épouse une jeune femme pour sa dot sans savoir que la nature l’a dotée d’une caractéristique pour le moins insolite : une pilosité qu’elle dissimule en se rasant. Alors en se mariant à cet homme qu’elle aime, elle décide de ne plus se cacher et se trouve tiraillée entre son époux qui apprécie sa féminité et tous ces inconnus qui la considèrent comme une femme à barbe destinée à être exhibée comme une attraction de fête foraine. Stéphanie di Giusto est une réalisatrice qui a de la suite dans les idées. Dans son premier long métrage, La danseuse (2016), elle s’attachait au destin de Loïe Fuller qui a révolutionné l’art de la chorégraphie à la Belle Époque. Dans un cas comme dans l’autre, des femmes audacieuses dont la société a refusé de comprendre la modernité dans un monde encore patriarcal où seule l’immense Sarah Bernhardt est parvenue à accéder à une célébrité suffisante pour oser s’approprier des rôles tenus jusqu’alors par des hommes. Le parti pris de la réalisatrice consiste à ne jamais pointer du doigt ses héroïnes, mais plutôt à les considérer comme en avance sur leur époque, en soulignant en contre-point le poids écrasant d’une opinion publique plus préoccupée de juger et de condamner que de chercher à comprendre voire de compatir. Rosalie constitue en cela un tableau de mœurs saisissant qu’on pourrait croire né de la plume de Guy de Maupassant par son mélange de naturalisme et d’impressionnisme qui renvoie esthétiquement à deux classiques du cinéma : Partie de campagne (1946) de Jean Renoir et Le plaisir (1952) de Max Ophüls.
Nadia Tereszkiewicz
Par son sujet même, Rosalie implique de la part de son interprète principale féminine une véritable prouesse qui confirme en l’occurrence l’étendue du registre de Nadia Tereszkiewicz, capable d’intégrer ici le plus rédhibitoire des obstacles à sa féminité, tout en se révélant au summum de sa séduction par un rayonnement miraculeux. Le film refuse la tentation du voyeurisme et la cruauté en leur opposant une personnalité lumineuse qui transcende son handicap physique sans pathos et tire son bonheur du seul regard qui lui importe : celui de son mari campé ici par un Benoît Magimel arc-bouté sur sa conviction d’avoir épousé la plus charmante fille du monde. Un charme communicatif pour le spectateur qui en vient à admettre cette situation particulière et à intégrer ce fameux lieu commun qui affirme que l’amour est aveugle. Inutile de préciser qu’on est ici à des années-lumière du Mari de la femme à barbe (1964) de Marco Ferreri qui faisait du personnage incarné par Annie Girardot une victime inspirée du phénomène de foire Julia Pastrana exhibée dans les fameux zoos humains. Stéphanie di Giusto s’inspire quant à elle très librement du cas de Clémentine Delait (1865-1939) devenue pendant la Grande Guerre la mascotte des poilus. La particularité de Rosalie consiste à prendre le contre-pied d’un film comme Elephant Man et de montrer une femme qui assume une anomalie de la nature assimilée à un handicap par le commun des mortels et adopte une attitude résolument positive vis à vis de l’extérieur qui est presque celle d’une sainte. Un parti pris qu’il faut accepter pour apprécier ce conte philosophique dépourvu de prêchi-prêcha dont la morale semble être que le bonheur peut s’avérer parfois contagieux. Voici un rayon de soleil qui fait du bien.
Jean-Philippe Guerand
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