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“Que notre joie demeure” de Cheyenne Carron



Film français de Cheyenne Carron (2024), avec Oussem Kadri, Daniel Berlioux, Gérard Chaillou, Majida Ghomari, Éric Denize, Rachid Moura, Laurent Borel, Sofiane Kaddour, Nathalie Charade, Léopold Bellanger, Séverine Warneys, Najla Barouni… 1h48. Sortie le 24 avril 2024.


Majida Ghomari



Cheyenne Carron est une réalisatrice à part sinon unique qui continue à avancer à l’écart de toutes les structures traditionnelles de l’industrie cinématographique et à creuser son propre sillon à l’écart des modes. Non seulement elle fait appel à des interprètes inconnus, qui se feront parfois n nm à l’instar de Mélanie Thierry et Swann Arlaud, mais elle traite des sujets qui tournent autour d’une valeur en perte de vitesse au sein de notre société : la morale. Avec deux univers de prédilection : l’armée et l’église, toujours évoqués du point de vue de ses serviteurs. Derrière son titre à consonnance religieuse, Que notre joie demeure est son quinzième long métrage depuis Écorchés (2005). Elle s’y attache à reconstituer les quelques heures qui ont précédé l’attentat islamiste perpétré en 2016 contre le prêtre Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray. Elle s’attache d’abord à la victime dont elle souligne le dévouement sans bornes à travers ses relations avec ses paroissiens, puis à l’un de ses deux assassins, afin d’essayer de comprendre le mécanisme de la radicalisation, ainsi qu’ont pu le faire avant elle Philippe Faucon dans La désintégration (2011) et Nabil Ayouch dans Les chevaux de Dieu (2012). Avec en contrepoint le désarroi d’une mère égarée qui pressent la catastrophe sans même essayer d’intervenir pour l’empêcher. Le tout mis en scène sans tapage ni voyeurisme, en se focalisant sur les différents protagonistes et leurs échanges verbaux. L’aboutissement pour la réalisatrice autodidacte d’une démarche qui confine à l’épure sans la moindre faute de goût.



Daniel Berlioux et Oussem Kadri



Que notre joie demeure reflète la foi de Cheyenne Carron en un cinéma qui investit des terrains en friche. En l’occurrence, ici, une province française où le temps semble s’être arrêté et où un homme d’église de 85 ans se démène sans compter auprès de ses ouailles. Ce dévouement inlassable au service de ses paroissiens occupe d’ailleurs la première partie du film. La suivante est consacrée à ce jeune homme radicalisé qui se prépare à commettre l’irréparable et voit dans le moindre détail de son quotidien des signes qu’il doit tuer pour donner un sens à sa vie et assurer une sorte de revanche sociale, même si sa main est guidée par des commanditaires lointains à l’abri du danger. Avec en guise de codicille la prise de conscience de sa mère qui l’a vu se couper peu à peu du monde et ne communiquer avec le monde extérieur qu’à travers son clavier d’ordinateur et ses jeux vidéo, dénué de véritables contacts autres que virtuels. Le film décrit en cela un processus implacable sans jamais forcer le trait. Parce que la réalisatrice accorde autant de confiance à son scénario dont les dialogues évitent les effets comme les mots d’auteur qu’à ses interprètes choisis avec pertinence mais pour l’essentiel peu ou pas connus, comme elle en a pris l’habitude. Deux qualités qui confirment son talent mis ici au service d’un sujet particulièrement délicat d’où affleure ce phénomène de dérive redoutable qui caractérise les terroristes 2.0 et les rend d’autant plus difficiles à repérer et à identifier qu’ils se terrent dans les recoins les mieux cachés de la société et agissent comme ceux que les spécialistes de l’espionnage qualifient d’agents dormants. Un processus complexe dont Cheyenne Carron dévoile les ressorts en se gardant de juger ses personnages. Comme pour ouvrir un débat impossible.

Jean-Philippe Guerand







Daniel Berlioux

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