Film français de Victoria Musiedlak (2023), avec Noée Abita, Anders Danielsen Lie, Alexis Neises, François Morel, Louise Chevillotte, Chad Chenouga, Saadia Bentaieb, Andranic Manet, Valérie Trajanovski, Sonia Bendhaou… 1h38. Sortie le 24 avril 2024.
Noée Abita
Des avocats, le cinéma les campe presque systématiquement comme des chevaliers du droit confrontés à de ténébreuses affaires. Victoria Musiedlak s’attache au contraire dans Première affaire à une jeune collaboratrice commise d’office par son cabinet parisien dans une affaire criminelle a priori dépourvue d’enjeu, tant le suspect qu’elle est chargée de défendre possède les caractéristiques du coupable idéal par son milieu social et son cadre familial. Avec face à lui dans cette petite ville de province un flic teigneux bien décidé à forcer le détenu à avouer un crime qu’il n’a peut-être pas commis. Dépourvue d’expérience mais pas d’idéalisme, la jeune femme va saisir sa chance, sans toujours saisir toutes les subtilités de la déontologie de sa profession. Ce premier film emprunte des sentiers battus à dessein sans jamais se sentir contraint à rien. Son anticonformisme passe d’abord par la personnalité de sa jeune héroïne qui s’incarne dans une particularité déroutante sinon anachronique : à 26 ans, elle est encore vierge et n’en tire aucun complexe. Une caractéristique déroutante qui conditionne ses relations avec les autres et traduit moins un manque affectif qu’une détermination à toute épreuve qui cadre bien avec les atermoiements affectifs de notre époque. C’est en outre sans doute dans ce détail singulier que la réalisatrice affirme sa différence, alors même qu’elle orchestre une liaison à haut risque entre le flic dépourvu de scrupules qui cadenasse sa vie intime et cette avocate fraîche émoulue qui pactise ainsi avec l’ennemi, en dépit de toutes les règles élémentaires en vigueur.
Alexis Neises, Noée Abita et Anders Danielsen Lie
Des films de procès d’Otto Preminger et d’André Cayatte aux récents Saint Omer et Anatomie d’une chute, le cinéma a toujours voué un culte particulier à l’exercice de la justice et à son attribut obligé : l’intime conviction. La particularité de Première affaire est de ne jamais chercher à héroïser ses protagonistes qui se contentent d’appliquer des procédures en invoquant leur conscience professionnelle. L’affaire criminelle proprement dite n’intervient ici que comme un prétexte. Ce qui intéresse en priorité Victoria Musiedlak, c’est avant tout la confrontation d’un flic expérimenté et passablement désabusé avec une avocate commise d’office qui se trouve confrontée à ses premières désillusions et surtout à la composante humaine de ce métier qu’elle découvre. Le film s’impose en cela comme une solide étude de caractères articulée autour de la confrontation de deux interprètes a priori très différents : d’un côté, la trop rare Noée Abita dont la coupe à la garçonne affirme l’androgynie pour mieux repousser les assauts machistes dans un univers encore dominé par des hommes plutôt virils et parfois lourdauds, de l’autre l’acteur norvégien Anders Danielsen Lie vu dans les films de Joachim Trier qui met sa maturité au service d’un enquêteur dénué d’états d’âme. Ce faux polar tord le cou à pas mal d’idées reçues en évitant systématiquement de glorifier l’avocate comme le policier, avec cette considération selon laquelle nettoyer les écuries d’Augias est parfois un sacerdoce, mais en tout cas jamais une sinécure.
Jean-Philippe Guerand
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