Film français de Nessim Chikhaoui (2024), avec Corinne Masiero, Lucie Charles-Alfred, Marie-Sohna Condé, Salimata Kamate, Maïmouna Gueye, Kool Shen, Abdallah Charki, Mariama Gueye… 1h27. Sortie le 1er mai 2024.
Lucie Charles-Alfred, Marie-Sohna Condé
et Maïmouna Gueye
On reproche trop souvent à la comédie made in France sa futilité pour ne pas saluer comme il le mérite le deuxième film de Nessim Chikhaoui, coscénariste des Tuche 4, qui s’attache à l’entrée dans la vie professionnelle d’une jeune fille belle comme le jour mais pourvue d’un caractère bien trempé, en qualité de femme de chambre dans les grands hôtels. À ce détail près que le faste est l’apanage de la clientèle et que le petit personnel corvéable à merci est prié de se montrer aussi discret que possible pour remettre en état les chambres à un rythme infernal. Un métier de l’ombre qui appartient à ce qu’on avait coutume d’appeler naguère le Lumpen Proletariat et qui s’est retrouvé évoqué il y a peu dans deux films de tonalités très différentes : Ouistreham d’Emmanuel Carrère et À plein temps d’Éric Gravel. Le réalisateur de Placés inscrit ce récit d’apprentissage en mêlant les conventions de la comédie populaire à un vrai sens de l’observation sociale qui souligne à quel point la notion même de travail a évolué au fil des générations, entre l’aînée désabusée que campe Corinne Masiero dans son personnage coutumier de râleuse usée par la vie et cette jeune fille qu’elle prend sous sa protection et qui incarne une jeunesse pour laquelle le travail ne doit en aucun cas devenir une souffrance. Avec autour d’elles des femmes majoritairement de couleur dont l’une a accepté de passer du côté obscur de la force pour gérer leurs plannings et leurs affectations. Une communauté d’invisibles qui évoque ces travailleuses de l’ombre pour lesquelles s’est battu sans compter le député François Ruffin et dont sa collègue de La France Insoumise Rachel Keke est elle-même issue.
Salimata Kamate, Lucie Charles-Alfred
Corinne Masiero et Marie-Sohna Condé
Petites mains dresse un état des lieux saisissant du contraste qui existe entre le luxe affiché par les palaces et les conditions de travail précaires réservées à leur petit personnel tiraillé entre la précarité de l’emploi et un salaire à la chambre dépourvue de garantie. Aux conventions du film d’apprentissage, ce tableau de mœurs associe une peinture sociale très réaliste d’un milieu professionnel qui exploite la précarité et s’en repaît, en divisant en quelque sorte pour mieux régner : cadences infernales, horaires modulables et fiches de poste floues constituent le quotidien de ce métier qui emploie dans une écrasante majorité des femmes de couleur et n’hésite pas à les monter les unes contre les autres, dans l’objectif assumé de favoriser les plus malléables et de se débarrasser des fortes têtes. C’est tout l’intérêt de cette comédie volontiers grinçante de prendre pour cadre un monde en proie à la déréglementation et à l’arbitraire qui fructifie en exploitant une main d’œuvre désorganisée et souvent aux abois. Avec pour guide au sein de cet univers féminin deux personnalités que tout semble opposer, mais qui vont se trouver beaucoup d’affinités face à une existence qui ne les a ménagées ni l’une ni l’autre : une soixante-huitarde tendance anar qui semble avoir pris son parti de la situation, mais agit comme un aiguillon auprès de ses collègues plus jeunes, et cette débutante qui déboule dans le monde du travail sans rien en connaître et va acquérir une véritable conscience sociale au contact de ce milieu régi par l’injustice et des conditions d’un autre âge. Déjà remarquée en mère immature dans Petites de Julie Lerat-Gersant, Lucie Charles-Alfred crève l’écran dans ce rôle écrasant et devrait refaire parler d’elle d’ici peu. Elle irradie littéralement le film de sa rage de vivre.
Jean-Philippe Guerand
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