Accéder au contenu principal

“Madame Hofmann” de Sébastien Lifshitz


 

Documentaire français de Sébastien Lifshitz (2024), avec Sylvie Hofmann… 1h44. Sortie le 10 avril 2024.

 


Sylvie Hofmann (à droite) et sa mère



Après un début de carrière partagé entre fiction et documentaire, Sébastien Lifshitz s’est concentré sur le cinéma du réel à travers des films consacrés à des personnages porteurs d’un destin particulier auxquels il a parfois consacré beaucoup de son temps et une attention de tous les instants. Au point de s’en rapprocher de plus en plus pour nous donner à partager ce à quoi on n’accède que rarement à l’écran : une intimité extrême. De la délicatesse, il lui en a fallu autant que de la patience pour s’immiscer dans Adolescences (2020) au cœur d’une amitié, mais aussi pour montrer la même année dans Petite fille le combat d’une famille unie pour soutenir la dysphorie de genre de l’inoubliable Sasha qui a valu au réalisateur une audience vertigineuse de plus de trois millions de téléspectateurs lors de la diffusion de son film sur Arte. L’humain reste plus que jamais au cœur de son œuvre dans son nouvel opus, Madame Hofmann, chronique du quotidien d’une infirmière chef du service d’oncologie de l’hôpital Nord de Marseille à travers laquelle il brasse des thèmes aussi divers que la pandémie de Covid-19, les atteintes perpétrées contre le système de santé et la résilience des soignants face à l’impéritie des pouvoirs publics. Pas question pour autant de dresser un état des lieux ou de se livrer à des grands discours. Lifshitz appartient à l’école de Nicolas Philibert, Frederick Wiseman, Raymond Depardon et Wang Bing. Ce passeur d’âmes observe sans intervenir ni juger ses protagonistes qui le lui rendent bien par la confiance qu’ils lui accordent et la spontanéité qu’ils manifestent.

 


Les “filles” de Sylvie Hofmann


Sylvie Hofmann est une femme qui irradie une lumière rare. Fille d’une infirmière qui mériterait elle aussi un film, elle a pris le relais et consacré sa vie à se dévouer pour les autres, mais n’envisage jamais ce sacerdoce sous cet angle. Sébastien Lifshitz la filme dans son quotidien, veillant sur “ses filles” autant que sur ses patients en tentant en permanence de colmater les brèches dues au manque de personnel et aux pressions administratives. Face à cette femme aussi dévouée à ses patients qu’à son équipe, le regard du réalisateur devient le nôtre, tant celle qu’il filme s’empare de la caméra en feignant d’ignorer sa présence, mais laisse échapper çà et là quelques vérités bonnes à dire sur ce champ de bataille dévastée dont elle est chargée d’assurer la pérennité coûte que coûte. Madame Hofmann laisse pourtant une large part à l’imprévu et à la spontanéité. Avec notamment ce point d’orgue que constitue la décision soudaine de sa protagoniste principale de prendre sa retraite. C’est là où Lifshitz confirme son talent de jongleur du réel en s’adaptant à cette situation pour en montrer les conséquences sur son entourage et sa hiérarchie. En s’approchant au plus près de l’intime d’une femme qui garde le sourire malgré les aléas d’une existence consacrée aux autres, ce document magnifique nous sensibilise à un cas humain qui reflète la situation tragique du système de santé français malmené de toutes part. C’est aussi la confirmation que c’est bien l’empathie de Lifshitz qui l’incite à braquer systématiquement sa caméra sur des êtres de bonne volonté, quels que soient leur genre ou leur âge, et à les transformer en acteurs malgré eux par l’attention qu’il leur porte et sa capacité à s’invisibiliser. Comme s’il avait la capacité ultime de transformer des mystères en miracles.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract