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“L’homme aux 1000 visages” de Sonia Kronlund


 

Documentaire français de Sonia Kronlund (2023) 1h30. Sortie le 17 avril 2024.





Le schizophrène est un pilier du cinéma policier dont la pathologie a nourri l’imagination des romanciers, des dramaturges et des cinéastes. Rares sont en revanche les documentaires à avoir réussi la prouesse d’appréhender ces personnages dont la particularité est de se cacher derrière de multiples identités en toute impunité. L’homme aux 1000 visages de Sonia Kronlund constitue en cela un véritable tour de force dont le point de départ est une sorte de serial lover qui sévit sur les réseaux sociaux où il séduit des proies faciles pour le seul plaisir d’accrocher de nouveaux trophées à son tableau de chasse et de mener plusieurs liaisons simultanément en cloisonnant sa vie vis-à-vis de l’extérieur. Ce Casanova des réseaux sociaux se dissimule sous de multiples pseudonymes avec une virtuosité qui forcerait l’admiration s’il ne s’agissait pas également d’un escroc professionnel qui ne se contente pas d’un seul territoire mais passe d’un pays à l’autre et soigne méticuleusement ses multiples identités, avec une prédilection pour les professions libérales et les nationalités sud-américaines. Dans un film de fiction, de telles prouesses vaudraient des prix à son interprète. On avait pu apprécier l’humour facétieux de la réalisatrice dans son premier film, Nothingwood (2017), où elle suivait un réalisateur afghan de série Z en plein Kaboul sur un tournage foutraque digne du fameux Ed Wood. Elle s’attache ici avec sororité au calvaire de plusieurs victimes de ce bourreau des cœurs avant de remonter sa piste. Lui dont le visage reste longtemps dissimulé par un ovale apparaît alors dans la seconde partie comme un dragueur plutôt pathétique pris à son propre piège par pure vanité.



Sonia Kronlund (à gauche)



Le talent de Sonia Kronlund consiste à prendre le contre-pied des émissions télévisées consacrées aux faits divers, tout en transgressant leurs codes sémiologiques et en usant de la voix off. Pour “L’homme aux 1000 visages” dont le titre aurait pu être celui d’une aventure d’Arsène Lupin, elle est partie d’un podcast réalisé dans le cadre de son émission de France Culture “Les pieds sur terre” qui a d’abord donné lieu à un livre publié en janvier dernier chez Grasset. Après la dramatisation artificielle vient toutefois le temps de la véritable enquête. Et là, la réalisatrice excelle dans son entreprise de révélation en montrant que derrière ce Fregoli amateur de femmes compulsif se dissimule en fait un mythomane pathétique qui s’ingénie à s’inventer des vies trépidantes faute de parvenir à en assumer vraiment une seule et emmène ses conquêtes dans les sites touristiques d’un Paris de carte postale, avant de les abandonner, parfois avec un enfant en prime. Contrairement à bon nombre de documentaristes contemporains, la cinéaste s’implique en personne dans son propre processus et travaille le réel en le reconstituant, sans toutefois le travestir, mais en soignant les apparences. Une démarche qui s’est étalée sur sept années obscurcies par la pandémie de Covid-19 et qui aurait pu l’amener à dénoncer le menteur compulsif, s’il ne s’était montré menaçant à l’encontre de ses victimes toujours sous son emprise. L’opportunité pour Sonia Kronlund de le confondre autrement, en exposant son visage et en tordant le cou à ce bon vieux dicton qui soutient que le ridicule ne tue pas. C’est par son humour inimitable qu’elle venge les victimes de ce Ricardo qui regardait avec ses conquêtes… Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg. Ça, ça ne s’invente pas ! Elle confronte pour cela leur tourmenteur à ses méfaits sans frontières. Reste juste à savoir si celui-ci éprouvera la curiosité d’aller voir ce film dont il est l’anti-héros pathétique malgré lui.

Jean-Philippe Guerand






Sonia Kronlund (à droite)

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