Documentaire français de Claus Drexel (2022) 1h36. Sortie le 24 avril 2024.
C’est a priori l’un des films qu’on a le moins envie de voir. Parce que son sujet n’implique nécessairement que des images pénibles et des propos d’un autre âge. Et pourtant… Avec Les vieux, Claus Drexel réussit une fois de plus l’impossible par l’empathie hors du commun qu’il parvient à établir avec ses interlocuteurs, des seniors qui s’assument en tant que tels et évoquent face caméra des souvenirs parfois lointains et des états d’âme souvent surprenants. Par sa capacité d’écoute et la personnalité des gens auxquels il donne la parole, le réalisateur démontre que la vieillesse n’est pas nécessairement le naufrage annoncé et qu’elle engendre aussi une sagesse qui fait trop souvent défaut à notre société. Le panel choisi s’avère en cela pertinent par sa variété et tranche avec cette idée reçue selon laquelle le grand âge ne serait synonyme que de déchéance, de solitude et d’atteintes irrémédiables. En découvrant Les vieux, on réalise à quel point nos aînés sont absents de notre paysage quotidien, sinon dans l’intimité de certaines familles ou claquemurés dans des maisons de retraite. Comme si leur seule vision dérangeait l’harmonie illusoire d’une société qui en est venue à vouer un véritable culte au jeunisme pour tenter d’enrayer les atteintes irrémédiables du temps. En leur donnant la parole, qui plus est dans le cadre de leur quotidien, le réalisateur obtient des confidences de natures fort différentes qui éclairent autrement notre passé. On réalise alors à quel point cette accumulation de souvenirs individuels est constitutive d’un bien commun qui n’est rien d’autre que notre mémoire collective.
Claus Drexel est un arpenteur insatiable des marges qui a la particularité de donner la parole à ceux qui ne la prennent que rarement : les SDF (Au bord du monde, 2014), les États-Unis en pleine campagne électorale (America, 2018), les prostitués (Au cœur du bois, 2021). Film après film, il esquisse ainsi un portrait de la société à travers ces exceptions dont on affirme volontiers qu’elles confirment la règle. Les vieux ajoute aujourd’hui un chapitre capital à ce tableau de mœurs en tordant le cou à pas mal d’idées reçues. À son habitude, le réalisateur soigne la forme autant que le fond. Il choisit de filmer ses interlocuteurs dans leur cadre de vie, ce qui lui évite d’avoir à les décrire préalablement. De l’aristocrate nostalgique à la déportée juive, il passe en revue les composantes les plus extrêmes d’une communauté aux contours flous et raconte à travers leurs témoignages individuels près d’un siècle de notre patrimoine mémoriel. Pourtant, en dépit de son titre et de son sujet, ce film n’est jamais ni pénible ni pesant, la vie y prenant un net ascendant sur la mort. Il se contente de recueillir la parole de nos aînés qu’on entendait naguère à la veillée, sans doute parce que le grand âge n’est pas conciliable avec le jeunisme ambiant et qu’il a été peu à peu invisibilisé de la société, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays, loin de là. On regarde ce film comme on écoute autant de personnes évoquer leur expérience : avec une attention passionnée et souvent un sourire malicieux. Parce qu’à travers toutes ces voix qui s’expriment pour raconter un monde disparu dont ne subsistent que des photos jaunies dans des albums de familles, on a en fait accès à notre mémoire collective, celle qui n’intéresse plus guère que les historiens et les sociologues. Or, l’expérience est non seulement enrichissante, mais aussi souvent bouleversante et parfois même cocasse. Ces Vieux nous administrent une sacrée cure de jouvence paer leur souci de partager leur expérience.
Jean-Philippe Guerand
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