Einvera Film islando-slovaquo-français de Ninna Pálmadóttir (2023), avec Þhröstur Leó Gunnarsson, Hermann Samúelsson, Anna Gunndís Guðmundsdóttir, Hjörtur Jóhann Jónsson, Jóel Sæmundsson… 1h15. Sortie le 3 avril 2024.
Hermann Samúelsson
Ne surtout pas se laisser abuser par le titre français de ce film islandais. Il n’a absolument rien à voir avec le classique de Claude Berri. C’est l’histoire très simple d’un agriculteur exproprié de sa ferme qui quitte la campagne pour la ville où ses jours et ses nuits lui semblent dépourvus de tout intérêt. Jusqu’au jour où il fait la connaissance du jeune fils de sa voisine. Un gamin renfermé, en quête de tendresse et d’un peu de fantaisie à qui il entreprend de donner confiance en lui, alors même qu’il souffre en silence du divorce de ses parents. Une véritable complicité se développe entre eux, le vieil homme devenant en quelque sorte le grand-père de cœur de ce petit livreur de journaux qui fait l’objet de toutes ses attentions. Probablement aussi parce que ce bambin introverti lui rappelle celui qu’il a été et que le vieil homme projette sur lui ses regrets de ne pas s’être montré lui-même plus audacieux. Un beau sujet qui vient se fracasser contre notre époque devenue paranoïaque en matière de mœurs sous l’effet des secrets les plus sordides révélés par l’actualité à jet continu. Le regard de Ninna Pálmadóttir sur ce scénario qu’elle n’a pas écrit mais qui croise plusieurs de ses thèmes de prédilection se révèle d’une constante délicatesse. La réalisatrice ménage toutefois à dessein des zones d’ombre qui laissent planer le doute et semblent propices à des interprétations multiples. Une démarche d’autant plus passionnante qu’elle accorde une confiance totale au spectateur et le laisse libre de décider où s’arrête la réalité et à partir d’où débutent les fantasmes éventuels.
Hermann Samúelsson et Þhröstur Leó Gunnarsson
Le vieil homme et l’enfant propose une réflexion passionnante sur la puissance des apparences et sur les malentendus qu’elle peut engendrer. Son titre original, Solitude, en évoquait une autre caractéristique que partagent ses deux protagonistes et qui contribue à les rapprocher. Derrière la fausse simplicité de ce film se tapissent parfois d’infinies subtilités qui nous entraînent parfois sur de fausses pistes. Ninna Pálmadóttir joue sur cet élément sans chercher à tricher, en passant volontiers d’un regard à l’autre. À l’instar de ce moment où deux enquêteurs débarquent chez le vieil homme pour un motif qui n’est pas du tout celui vers lequel pourrait nous pousser la mise en scène. De prime abord, cette histoire simple devrait pouvoir se s’apprécier au premier degré et sans arrière-pensées. La réalisatrice n’entend toutefois pas en rester là et utilise ce sujet comme prétexte à une réflexion plus vaste qui induit un décalage progressif entre ce qu’elle nous donne à voir et les diverses façons dont pourrait l’interpréter un observateur conditionné par une atmosphère anxiogène. Une démarche en décalage qui s’inscrit dans le prolongement de ses deux courts métrages, Paperboy (2019) et All Dogs Die (2020), primés dans de nombreux festivals internationaux. Elle s’appuie en outre pour cela sur deux interprètes que tout sépare : l’acteur de théâtre chevronné Þhröstur Leó Gunnarsson, et le débutant Hermann Samúelsson dont elle exploite autant les connivences établies au cours de rencontres préliminaires au tournage que des natures a priori peu compatibles. Derrière son titre d’une désespérante banalité, Le vieil homme et l’enfant recèle une profondeur parfois vertigineuse qui exige du spectateur un véritable travail sur soi. C’est le (modeste) prix à payer pour goûter à cette petite musique subtile et lancinante.
Jean-Philippe Guerand
Hermann Samúelsson
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