Film français de Pascal Bonitzer (2024), avec Alex Lutz, Louise Chevillotte, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Arcadi Radeff, Laurence Côte, Matthieu Lucci, Alain Chamfort, Olivier Rabourdin, Marisa Borini, Iliès Kadri, Vincent Nemeth, Alexandre Steiger, Doug Rand, Peter Bonke, Adrien de Van… 1h31. Sortie le 1er mai 2024.
Louise Chevillotte et Alex Lutz
Un film en évoque souvent un autre. Le tableau volé adresse par son titre un clin d’œil à L’hypothèse du tableau volé (1978) de Raoul Ruiz, une façon comme une autre pour Pascal Bonitzer de saluer un ami disparu, en auréolant son propre travail d’un supplément d’âme par procuration. Un expert est alerté un jour de la découverte d’une toile inconnue d’Egon Schiele. La nouvelle le laisse d’autant plus sceptique que l’œuvre aurait été retrouvée dans la chambre à coucher d’un modeste ouvrier de Mulhouse. Reste à démontrer son authenticité… Une tâche nettement moins ardue que prévu, dans la mesure où cette exhumation singulière met en évidence une vaste opération de spoliation perpétrée par les Nazis au début de la Seconde Guerre mondiale et révèle un passé douloureux qui pare cette œuvre d’une aura sulfureuse de nature à ternir sa valeur artistique. Un défi pour l’amateur d’art qui a très vite conscience de jouer sa réputation sur cette affaire, mais bénéficie d’au moins deux soutiens précieux : ceux de son ex-épouse, d’une stagiaire effrontée et d’une avocate qui reflètent ses rapports compliqués avec les femmes. Un personnage pas toujours très sympathique qui pousse Alex Lutz dans ses ultimes retranchements en lui proposant un nouveau défi en tant qu’acteur. Son arrogance de façade parfois blessante dissimule (mal) une vulnérabilité a priori peu conciliable avec des fonctions professionnelle supposant de lui qu’il tranche des débats sans états d’âme en distinguant le vrai du faux, avec les conséquences incalculables que supposent ses jugements de Roi Salomon des beaux-arts.
Alex Lutz
La réussite du Tableau volé repose sur sa confrontation de plusieurs univers a priori étrangers les uns aux autres. L’Alsace meurtrie dans sa chair comme région frontalière devenue un champ de bataille avant et après avoir été annexée à l’Allemagne, dont l’histoire douloureuse contraste avec l’univers endogamique des marchands d’art où tout se déroule à bras bruit et dans des atmosphères feutrées. Comme souvent dans le cinéma de Bonitzer, l’intrigue proprement dite sert de prétexte à une solide étude de caractères. Il confronte ici des personnages de générations et d’origines sociales fort diverses dont certains n'auraient sans doute eu aucune raison de se rencontrer en d’autres circonstances. Il choisit par ailleurs pour tenir ces rôles des interprètes qu’il pousse pour la plupart hors de leur zone de confort habituelle, à l’instar d’Alex Lutz une fois de plus impeccable en expert imbu de lui-même confronté à sa complice de longue date que campe Léa Drucker et à cette capricieuse mal embouchée sous l’influence de #MeToo qu’incarne Louise Chevillotte sur un registre fantaisiste qui lorgne du côté de chez Katharine Hepburn dans certaines comédies de George Cukor. Cette galerie de portraits séduit tout à la fois par sa pertinence psychologique et des compositions individuelles que Bonitzer met en scène avec un enthousiasme communicatif, en donnant un supplément d’âme et de légèreté à une thématique douloureuse qui aurait plutôt tendance à jeter du sel sur des plaies mal cicatrisées par sa dimension mémorielle. C’est sans doute la première fois que le réalisateur se montre à la hauteur du scénariste et c’est une excellente nouvelle pour le spectateur.
Jean-Philippe Guerand
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