Aku wa sonzai shinai Film japonais de Ryūsuke Hamaguchi (2023), avec Hitoshi Omika, Ryô Nishikawa, Ayaka Shibutani, Ryûji Kosaka, Hazuki Kikuchi, Hiroyuki Miura, Yoshinori Miyata, Taijirô Tamura, Yûto Torii… 1h47. Sortie le 10 avril 2024.
Hitoshi Omika et Ryô Nishikawa
Installés dans un village situé à deux cents kilomètres de Tokyo, un père et sa fille vivent au contact direct de la nature dont ils respectent l’harmonie naturelle. Le quotidien de ce havre de paix régi par des valeurs nobles et altruistes est rythmé par un rapport quasiment fusionnel avec les éléments qui ressemble au bonheur. Jusqu’au moment où des promoteurs qui ont entendu parler de ce havre de paix décident d’y édifier un site de “glamping”, expression marketing forgée à partir des termes “camping” et “glamour”. Reste à convaincre les autochtones que ce projet n’aura aucune conséquence néfaste sur leur havre de paix. Mais c’est là où le bât blesse. En effet, l’accroissement brutal de la population menacerait l’équilibre écologique des lieux en menaçant notamment à très court terme la nappe phréatique. Ryūsuke Hamaguchi aurait pu tirer de ce point de départ un film politique. Le réalisateur de Drive My Car préfère se livrer à une réflexion sur la vacuité de certaines postures contemporaines qui consistent à détourner à des fins purement mercantiles la prise de conscience des nouvelles générations au réchauffement climatique. Il ne cherche toutefois jamais à diriger notre regard et se garde bien d’appliquer à cette histoire la grille du manichéisme. Chez lui, il n’y a ni bons ni méchants, mais plutôt des humains qui doutent. La première partie du film est ainsi la chronique du quotidien de ces gens qui ont choisi de vivre en prenant leur distance avec le bruit et la fureur du progrès exponentiel. Un paradoxe qui reflète d’ailleurs celui du Japon, ce pays mystérieux sous la menace des catastrophes naturelles où la plus grande métropole du monde est entourée de sites préservés depuis l’aube de l’humanité.
Hitoshi Omika et Ryô Nishikawa
C’est de ce contraste saisissant entre tradition et modernité favorisé par une situation insulaire que traite Le mal n’existe pas dont le titre reflète le positivisme relatif. Avec en filigrane cet attachement viscéral du peuple japonais à la terre de ses ancêtres qui fait si justement écho aux préoccupations d’une partie de l’humanité soucieuse de sauver notre planète. Dès lors, le nouvel opus d’Hamaguchi fait écho à l’œuvre de son aîné Hayao Miyzaki, pionnier en la matière, mais aussi par bien des aspects à la taïga sibérienne mise en scène par Akira Kurosawa dans Dersou Ouzala. On y retrouve la pureté des origines à travers la prise de conscience d’une communauté de marginaux dont la raison se révèle supérieure à la détermination de ces promoteurs qui souhaiteraient tirer profit de leur paradis en exploitant une forme de snobisme. En adoptant la forme de la fable ou du conte moral, ce film nous rappelle à la raison sans manipulation ni grosses ficelles. Simplement en nous immergeant dans un cadre enchanteur afin de nous sensibiliser au fait que les merveilles de la nature ne sont pas éternelles et que même les sites apparemment les plus préservés sont menacés, quelles que puissent être notre bonne volonté et notre solidarité. Sur le plan purement formel, la magie du film naît aussi du syncrétisme qui s’établit entre ces images de nature tournées initialement par le réalisateur pour être diffusées pendant le concert “Gift” de la compositrice Eiko Ishibashi et la bande originale conçue par cette dernière. Il convient de se laisser envelopper par ce déluge sensoriel pour apprécier à sa juste valeur cette chronique existentielle humaniste couronnée du grand prix du jury à la Mostra de Venise qui choisit de s’achever par un véritable point d’interrogation. Une audace devenue trop rare dans le cinéma moderne.
Jean-Philippe Guerand
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