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“État limite” de Nicolas Peduzzi



Documentaire français de Nicolas Peduzzi (2023), avec Jamal Abdel-Kader… 1h42. Sortie le 1er mai 2024.





De film en film, le cinéma prend le pouls d’un système de santé aux abois qui semble parfois aussi malade que ses patients. Certes, il inspire des fictions qui trouvent un écho parmi le grand public, mais le documentaire n’est pas en reste. Présenté l’an dernier à Cannes dans le cadre de la sélection de l’Acid, État limite décrit très exactement la situation évoquée par son titre, lequel désigne en fait davantage l’institution que celles et ceux qui viennent s’y faire soigner. Nicolas Peduzzi a choisi pour guide le docteur Jamal Abdel-Kader, un psychiatre de l’hôpital Beaujon qui navigue d’un service à l’autre en s’efforçant de réconforter les esprits, là où ses confrères traitent les corps, le tout dans un paysage sinistré où le manque de moyens doit être pallié par des initiatives ponctuelles qui relèvent du système D sinon du simple bon sens. Ce film est le chaînon manquant entre Notre corps de Claire Simon et la trilogie de Nicolas Philibert avec lesquels il partage bienveillance et qualité d’écoute. Il est aussi question de vocation dans ce voyage au long cours qui nous donne à croiser des internes, des aides-soignants et évidemment des patients, c’est-à-dire vous et moi. Le tout avec un soin exceptionnel apporté à la composante esthétique de chaque plan qui distingue ce film des reportages auxquels nous a habitués la télévision. Peduzzi a choisi de prendre son temps pour refléter les doutes qui viennent à ronger ces héros du quotidien confrontés à toute la souffrance du monde que la pandémie de Covid-19 n’a contribué qu’à accentuer, sans qu’on sache où se situe le point de rupture.



Jamal Abdel-Kader



État limite confronte la situation de notre système psychiatrique submergé par le nombre de patients, dont beaucoup échouent en prison faute de lits, et une institution entravée par les contraintes administratives. Après deux films tournés aux États-Unis, Southern Belle (2018) et Ghost Song (2021), Nicolas Peduzzi montre comment le fait de vouloir appliquer au système de santé des contraintes de rentabilité revient à le faire dysfonctionner et à s’en remettre aux individus afin de se substituer à une institution en danger. Le réalisateur a de qui tenir puisqu’il est le fils de la photographe Pénélope Chauvelot, qui a contribué à fixer certaines images saisissantes du film, et du scénographe Richard Peduzzi, ce qui lui a valu de passer six ans de sa jeunesse à la Villa Médicis. C’est dire combien l’importance qu’il accorde à l’esthétique s’avère ici constitutive d’un film qui dépasse les conventions traditionnelles du documentaire pour intégrer une précieuse valeur ajoutée, à travers des instants saisis en photo, le plus souvent en noir et blanc, mais aussi une musique originale du pianiste de jazz Gaël Rakotondrabe qui confère à certains moments le tempo d’une comédie burlesque. Mais c’est bien connu, la raison du plus fou est souvent la meilleure. Ce film déjà diffusé sur Arte en est la preuve éclatante.

Jean-Philippe Guerand







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