Film américain d’Alex Garland (2024), avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Nick Offerman, Stephen McKinley Henderson, Jefferson White, Nelson Lee, Evan Lai, Vince Pisani, Justin James Boykin, Greg Hill, Edmund Donovan, James Yaegashi, Alexa Mansour, Martha Bird Knighton… 1h49. Sortie le 17 avril 2024.
Dans un avenir très proche, les États-Unis sont devenus le théâtre, ou plutôt le champ de bataille, d’une nouvelle guerre de Sécession qui oppose les Forces de l’Ouest à plusieurs factions rebelles. Soucieux de recueillir ce qui pourrait être la dernière interview du Président des États-Unis et de témoigner à chaud de ce qui s’annonce comme une bataille décisive, un quatuor de journalistes et de photographes embarque pour Washington où le gouvernement fédéral semble à la merci immédiate des insurgés. Sur leur route, ils vont constater que le pays est en proie à un chaos indescriptible et que ce sont les fondements même de la démocratie américaine qui se trouvent dans l’œil du cyclone. À l’exception notable d’une ville que ses habitants ont décidé de tenir à l’abri de ces affrontements fratricides, en continuant à vivre comme si de rien n’était. Écrivain devenu scénariste pour Danny Boyle, le Britannique Alex Garland signe aujourd’hui sa quatrième réalisation en mettant en scène un futur immédiat fondé sur l’irrésistible émergence de Donald Trump et des suprémacistes. Une immersion dans l’obscurantisme qui recycle certains des codes du cinéma post-apocalyptique en les intégrant au sein d’un contexte socio-politique très réaliste. Il est usage d’évoquer à l’écran le monde d’après, qu’il ait été provoqué par un conflit nucléaire dévastateur, une invasion extra-terrestre ou une catastrophe naturelle. Beaucoup plus rarement de montrer le moment où tout a basculé dans l’inconnu.
Kirsten Dunst et Wagner Moura
Aux antipodes des superproductions catastrophistes de Roland Emmerich, Michael Bay et Antoine Fuqua (La chute de la Maison Blanche) où le spectacle était dépourvu de la moindre réflexion politique un tantinet articulée. Civil War adopte le point de vue de citoyens qui se positionnent avant tout comme des sentinelles chargées de témoigner d’un tournant capital de l’histoire de la civilisation contemporaine. Le contraste s’avère ainsi saisissant entre la photographe désabusée sinon usée que campe Kirsten Dunst et la jeune idéaliste pleine d’illusions qu’incarne Cailee Spaeny, aux antipodes de son rôle de Priscilla chez Sofia Coppola. Ces deux visages d’un même métier illustrent cette contradiction qui oppose le devoir de saisir le moment de vérité en regardant systématiquement à travers l’objectif plutôt que la réalité avec ses yeux, sans se fixer de limites. À travers ces femmes de deux générations affleure aussi l’évolution des mœurs. Et même si le numérique est sacrifié à une nostalgie de la pellicule qui renvoie à la légende dorée des photo-reporters, la pression des réseaux sociaux exige une instantanéité à laquelle les médias traditionnels se révèlent impuissants à faire face. Le message subliminal du film s’attache à ce paradoxe désormais au cœur du fameux devoir d’informer. Pour mesurer le chemin parcouru, il suffit de comparer le film d’Alex Garland avec la représentation que donnaient des reporters de guerre des films comme Le faussaire (1981) de Volker Schlöndorff et Under Fire (1983) de Roger Spottiswoode. Quant aux événements relatés, on ne saura vraiment qu’en novembre prochain si la réalité dépasse la fiction et si Civil War relève de l’utopie à grand spectacle ou de la prémonition visionnaire. Garland, pour sa part, a déjà annoncé qu’il abandonnait définitivement le cinéma… non sans nous avoir lancé une grenade dépouillée.
Jean-Philippe Guerand
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