Accéder au contenu principal

“Challengers” de Luca Guadagnino



Film américain de Luca Guadagnino (2023), avec Zendaya, Mike Faist, Josh O’Connor, Faith Fay, Heidi Garza, Nada Despotovich, Naheem Garcia, A. J. Lister, Connor Aulson, Christine Dye, Alex Bancila, Jake Jensen… 2h11. Sortie le 24 avril 2024.



Mike Faist, Zendaya et Josh O’Connor



La finale du tournoi de tennis régional de New Rochelle oppose deux joueurs qui furent les meilleurs amis du monde avant que le destin ne les sépare. Pour l’un, c’est l’occasion de revenir à son meilleur niveau et d’accéder aux qualifications pour les Masters. Pour l’autre, c’est juste une opportunité de faire sortir ses finances du rouge. Entre les deux s’immisce toutefois une championne junior dont la rage de vaincre a été entravée par une mauvaise blessure qui a mis un terme à sa carrière sportive. Elle a épousé le premier dont elle est devenue la coach et a entretenu une liaison épisodique avec le second, après avoir flirté simultanément avec eux le temps d’une étreinte à trois qui a jeté un doute sur le caractère homosexuel de leurs relations. Résumé ainsi, Challengers donne l’impression d’être un mélodrame sportif. Ce qu’il est, mais pas seulement. Installé aux États-Unis grâce au succès de Call Me By Your Name (2017) dont le scénario a valu un Oscar au grand James Ivory, le cinéaste italien Luca Guadagnino manifeste depuis toujours un goût particulier pour les sujets sulfureux qui lui a notamment inspiré Melissa P. (2005) et ses remakes de La piscine (A Bigger Splash, 2015) et de Suspiria (2018). Il situe son nouvel opus dans le cadre d’un sport de haut niveau qui n’a que très rarement été bien filmé au cinéma, mais a inspiré au moins deux œuvres mémorables : L’inconnu du Nord-Express (1951) d’Alfred Hitchcock et Match Point (2005) de Woody Allen. Challengers se situe sur un registre sentimental assumé, mais n’en dédaigne pas pour autant la composante sportive qui constitue le fil rouge de ce drame psychologique pétri de flash-backs inutilement abondants qui s’étirent grosso modo de 2019 à 2006. En se hasardant aussi à une vulgarité qui a une fâcheuse tendance à faire rimer tennis avec… pénis et raquette avec… quéquette !



Zendaya



Luca Guadagnino tente de résoudre avec ce film une équation particulièrement délicate qui repose à la fois sur la confrontation de Zendaya avec Mike Faist et Josh O’Connor, le rôle prépondérant dévolu à la partition musicale omniprésente composée par Trent Reznor et Atticus Ross, collaborateurs de longue date de David Fincher, et la mise en scène du tennis. Ce sport se révèle en l’occurrence l’un des plus délicats à filmer, à la fois en raison de la disposition des joueurs, qui correspond au fameux champ-contrechamp du cinéma, et de la mobilité constante de la balle. Hitchcock avait opté pour une vision englobant la totalité du terrain, mais jouait moins sur l’enjeu du match proprement dit que sur sa durée. Allen avait quant à lui cristallisé sa vision de ce sport à un ralenti devenu emblématique : celui de la balle roulant sur le haut du filet avec autant de possibilités de tomber d’un côté ou de l’autre, à l’image de la boule qui tourne dans une roulette avant de s’immobiliser dans une case. Luca Guadagnino choisit une option alternative et multiple : il adapte sa façon de filmer aux circonstances. Certains échanges se reflètent dans le regard de l’assistance qui tourne la tête de gauche à droite. D’autres sont montrés latéralement, par au-dessus voire d’en-dessous comme à travers le ring transparent de Raging Bull (1980) de Martin Scorsese. Jusqu’au bouquet final où il use et abuse du ralenti en adoptant les points de vue subjectifs des joueurs, dans l’esprit d’Abel Gance mettant en scène la bataille de boules de neige de son Napoléon (1927) en lançant de minuscules caméras conçues à cet effet. Le film est à l’image de cette multiplicité d’artifices : en déséquilibre perpétuel. Au point d’en arriver à sacrifier l’amitié qu’il décrit, aussi ambiguë soit-elle, au pouvoir de séduction qui permet à cette femme fatale de prendre sa revanche sur sa carrière avortée en manipulant ses deux partenaires masculins.

Jean-Philippe Guerand






Zendaya et Josh O’Connor

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract