Film américain de David Schickele (1971), avec Paul Eyam Nzie Okpokam, Elaine Featherstone, Jack Nance, Lothario Lotho, James Earl Garrison, Ann Scofield, Shermane Powell, David Schickele, Donna Michelson, Timothy Near, Patrick Gleeson, David Major, Curtis Branch, Florence Schwartz, John Dotson… 1h13. Sortie le 24 avril 2024.
Paul Eyam Nzie Okpokam
Ce film date d’il y a plus d’un demi-siècle, mais n’avait bizarrement jamais trouvé le chemin des salles françaises. Il s’attache à l’immersion d’un Nigérian qui a fui la guerre civile pour trouver refuge dans la Californie post-soixante-huitarde endeuillée par les morts successives du pasteur Martin Luther King, du candidat aux élections présidentielles Robert Kennedy et de Bobby Hutton. Dans la baie de San Francisco, ce jeune homme déraciné qui se promène pieds nus avec ses chaussures sur la tête, comme il est d’usage sur sa terre natale, devient la coqueluche de la communauté afro-américaine et fraie avec les milieux les plus bohèmes qui prônent l’amour libre et les relations interraciales. Au point de ne pas remarquer que son visa est arrivé à expiration. Jusqu’au jour où il est interpellé. Dès lors, la fiction devient la réalité et est assujettie au destin de ce réfugié plongé dans le chaudron américain en fusion. Le réalisateur David Schickele use avec maestria d’un noir et blanc très contrasté qui renvoie à la fois à l’audace de certains films de la Nouvelle Vague et à la liberté contemporaine des chroniques de John Cassavetes. Il signe un joyau du cinéma-vérité en adaptant son scénario aux circonstances avec un rare sens de l’opportunité qui confère à cette tranche de vie une modernité exceptionnelle.
Elaine Featherstone et Paul Eyam Nzie Okpokam
Bushman tire sa richesse de son caractère hybride. Filmé caméra à l’épaule dans les fameuses rues de San Francisco, il est interprété par des inconnus dont Jack Nance qui deviendra célèbre en tenant le rôle principal du premier long métrage de David Lynch, Eraserhead (1977). Une composante qui participe à l’impression de fraîcheur et de spontanéité émanant de cette tranche de vie racontée du point de vue d’un Candide moderne, où l’insouciance d’une parenthèse enchantée bascule dans un propos socio-politique auquel fait écho l’Amérique d’aujourd’hui avec ses positions exacerbées. Après Give Me a Riddle (1966) situé au Nigéria qui lui a fait rencontrer son futur “Bushman”, Paul Eyam Nzie Okpokam, et avant le moyen métrage Tuscarora (1992) consacré à une petite communauté du Nevada, le deuxième film de David Schickele se situe résolument à l’écart du cinéma américain de l’époque, qu’il s’agisse du Nouvel Hollywood alors en plein essor ou de la Blaxploitation qui se contente d’accommoder le cinéma de genre à une minorité ethnique sous-représentée sur les écrans. C’est plutôt du côté de l’école documentaire et des jeunes cinémas européens qu’il convient d’aller chercher des références pertinentes, la fiction s’enrichissant en permanence de son propre contexte pour coller davantage à une réalité qui va finir par la nourrir à son tour. Bushman constitue en cela un témoignage exceptionnel sur son époque et des communautés marginales rarement montrées au cinéma, sinon de façon anecdotique dans certains films de Bob Rafelson ou de Jerry Schatzberg voire les emblématiques Macadam cowboy de John Schlesinger et Easy Rider de Dennis Hopper, sortis deux ans plus tôt, qui en retiennent moins l’insouciance que le caractère anxiogène. On aurait aimé rencontrer ce Schickele mort à 62 ans en 1999.
Jean-Philippe Guerand
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