Film français de Stéphane Demoustier (2023), avec Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi, Michel Fau, Pablo Pauly, Florence Loiret Caille, Cédric Appietto, Henri-Noël Tabary, Fanny Guidecoq, Vincent Colombe, Anthony Morganti, Thomas Muziotti, Lyam Touhami, Jean-Étienne Frisoni, Luigi Fazio… 1h58. Sortie le 17 avril 2024.
Une surveillante pénitentiaire mutée dans une prison corse découvre le pouvoir de certains détenus qui poursuivent leurs activités en toute impunité et contrôlent tout ce qui se passe au-delà des murs. Ce film inspiré d’une histoire vraie réussit la prouesse de renouveler un genre naguère très en vogue : le cinéma carcéral. Il prend en outre pour cadre l’Île de Beauté vue à travers le regard d’une femme qui débarque du continent et découvre un monde à part au contact duquel les intrus risquent de se brûler les ailes… sauf à bénéficier de protections particulières en échange de menus services. Cet engrenage se déclenche pour Melissa lorsque des voisins de son immeuble manifestent leur racisme à l’égard de son mari black et que, quelques jours plus tard, quand l’un d’eux se présente pour lui présenter spontanément ses excuses, elle découvre le pouvoir d’influence qu’exerce un jeune caïd figurant parmi ses détenus. Du jour au lendemain, les lignes vont bouger entre le Bien et le Mal et la fonctionnaire intègre va profiter de sa situation et des faveurs dont elle dispose au sein du milieu local grâce à ses relations. Après s’être intéressé au sport dans Terre battue (2014), puis à la justice dans La fille au bracelet (2019), Stéphane Demoustier s’attaque cette fois à une véritable forteresse régie par des codes ancestraux qui fonctionne comme un monde à part au sein même de la République Française. Une gageure pour un réalisateur qui ne possède ni la légitimité d’enfant du pays de Thierry de Peretti (Une vie violente) ou de Pascal Tagnati (I comete), ni la caution d’un best-seller comme L’enquête corse.
Hafsia Herzi et Louis Memmi
Borgo s’avère indissociable de son interprète principale, Hafsia Herzi. Aux antipodes de son personnage de sage-femme introvertie du Ravissement, elle s’impose ici sur un registre beaucoup plus autoritaire, dans son couple comme dans son métier. On reconnaît son professionnalisme dépourvu d’états d’âme à son visage fermé, à sa détermination et à sa façon d’appliquer la routine en exécutant des automatismes. Avec face à elle des détenus qui connaissent son métier aussi bien qu’elle et sont à même de déceler la moindre faille. La mise en scène se cale sur ces rituels savamment orchestrés, mais échappe aux contraintes du huis clos qu’implique généralement le film de prison et à ce lieu commun qui consiste à montrer que les surveillants partagent avec les détenus dont ils ont la charge la contrainte de l’enfermement. Melissa est ainsi décrite comme prisonnière de sa fonction, par le lieu dans lequel elle vit avec sa famille sur une île où elle est identifiée comme indésirable par son origine comme par sa fonction. C’est la somme de ces mécanismes subtilement enchâssés les uns dans les autres qui donne sa valeur à ce film tranchant comme une lame de rasoir où la sauvagerie des paysages naturels contraste avec des espaces clos oppressants et impersonnels. Il est plus que temps pour le trop discret frère aîné d’Anaïs Demoustier de se faire enfin un prénom parmi les cinéastes français quadragénaires avec lesquels il faut compter.
Jean-Philippe Guerand
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