Film britannique de Sam Taylor-Johnson (2024), avec Marisa Abela, Jack O’Connell, Eddie Marsan, Lesley Manville, Juliet Cowan, Sam Buchanan, Bronson Webb, Harley Bird, Ansu Kabia, Amrou Al-Khadi, Matilda Thorpe, Pete Lee-Wilson, Daniel Fearn, Pierre Bergman, Colin Mace, Tim Treloar… 2h02. Sortie le 24 avril 2024.
Les hasards de l’actualité ont vu la sortie simultanée de deux biopics consacrés à des icônes de la musique, eux-mêmes précédés de documentaires remarquables qui avaient déblayé le chemin. C’est ainsi que Bob Marley : One Love fictionnalisait une partie de la vie du roi du reggae déjà évoquée in extenso dans Marley (2012) de Kevin Macdonald, comme aujourd’hui Back to Black reprend en substance une large part d’Amy (2015) d’Asif Kapadia, lauréat de l’Oscar du meilleur documentaire. Dans un cas comme dans l’autre, le scénario choisit de s’arrêter avant la déchéance, histoire de terminer au sommet du mythe sans ternir inutilement la légende de scènes sordides répétitives à l’envi. Morte à 27 ans en 2011, Amy Winehouse a connu une existence tragique, entre un père envahissant et des mauvaises fréquentations qui l’ont encouragée à sombrer sous l’emprise de substances toxiques. Il reste d’elle une énergie hors du commun et une voix extraordinaire qui n’ont pas suffi à la sauver de ses démons mais lui ont assuré un passeport pour l’éternité. C’est ce destin que relate la réalisatrice britannique Sam Taylor-Johnson, réputée notamment pour avoir évoqué la jeunesse de John Lennon dans son premier long métrage, Nowhere Boy (2009). Elle se tire à merveille de la plus grande difficulté que présentait ce projet : trouver une interprète capable d’incarner une Amy Winehouse crédible, tout en assurant sur le plan vocal. Un écueil d’autant plus redoutable que la chanteuse reste omniprésente sur Youtube comme sur les réseaux sociaux, rendant ainsi la comparaison aisée, même pour ceux qui ne l’auraient pas vue et entendue de son vivant.
Marisa Abela et Lesley Manville
La réussite de Back to Black est indissociable de la personnalité de Marisa Abela, dont on oublie très vite qu’elle n’est pas Amy Winehouse, tant elle adopte son phrasé, ses postures et interprète ses chansons avec une troublante intensité. Sa performance va bien au-delà du simple mimétisme qu’on est en droit d’attendre d’une telle composition. Elle restitue à la perfection la détresse de la chanteuse qui reprend à son compte le côté tragique des plus grandes voix du jazz, à commencer évidemment par Billie Holiday, et dont l’inadaptation au bonheur la jettera dans les bras d’un amant toxique, au moment même où elle accède au rêve de sa vie. La séquence au cours de laquelle, interdite de séjour aux États-Unis, elle assiste en direct de Londres à la cinquantième cérémonie des Grammy Awards, en 2008, où elle deviendra la première artiste étrangère couronnée de cinq trophées, illustre le perfectionnisme de la reconstitution. C’est à la fois le sommet de sa carrière internationale et le dernier acte déterminant avant la chute. Le film parvient à trouver un subtil équilibre entre cette ascension musicale irrésistible et la descente aux enfers de cette jeune femme sous emprise qui subit à la fois les sautes d’humeur de son compagnon sous l’influence de substances délétères et les ordres de son propre père devenu un manager tyrannique. Une conjonction tragique que le film prend à son compte sans noircir complaisamment le tableau ni chercher à en édulcorer les aspects les plus obscurs dans une démarche hagiographique. Il choisit juste de s’arrêter avant la chute, histoire de préserver le mythe sans trahir pour autant la légende. Les fans n’en attendaient pas davantage.
Jean-Philippe Guerand
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