Amal Film belgo-français de Jawad Rhalib (2023), avec Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kenza Benboutcha, Ethelle Gonzalez Lardued, Johan Heldenbergh, Babetida Sadjo, Mehdi Khachachi, Olivier Bisback, Martine Lemal… 1h51. Sortie le 17 avril 2024
Décidément traitée sous toutes ses formes, l’éducation se trouve cette fois dans l’œil du viseur d’un film belge à travers un personnage d’enseignante confronté à des élèves issus de milieux communautaristes bien décidés à en découdre pour imposer leur loi. Contrairement à Pas de vagues qui prenait des gants pour décrire une spirale infernale déclenchée par un malentendu et à La salle des profs qui pointait un dysfonctionnement généralisé, fort de son expérience de documentariste, Jawad Rhalib fonce bille en tête, comme galvanisé par sa foi en une cause juste, même si elle semble perdue à bien des égards. C’est pourtant aussi celui qui va le plus loin dans l’évocation d’un désastre, en balayant la bienveillance et l’angélisme. L’école n’est en fait ici que le microcosme d’une société malade de son refus de l’autorité où s’échauffent les esprits et où se diffuse une propagande mortifère dont Philippe Faucon a déjà décrypté bon nombre de signaux dans La désintégration (2011). Le fait est qu’Amal - Un esprit libre se déroule en Belgique n’est pas innocent. Le film assume sa double composante politique et polémique dans un contexte abrasif qui a notamment engendré les attentats islamistes du 13 novembre 2015 à Paris en mettant à jour la zone de non-droit de certaines cités de banlieue bruxelloises et la menace qu’elle fait peser sur une société dont la vigilance s’était assoupie au point de réchauffer en son sein le plus venimeux des ennemis intérieurs.
Fabrizio Rongione et Lubna Azabal
Les seuls parents d’élèves qui s’impliquent dans la vie scolaire sont ceux qui incarnent une idéologie et en diffusent les bases sous couvert de prétextes fallacieux. Avec non pas face mais avec eux une hiérarchie résignée qui craint pour la réputation de son établissement et préconise de calmer les esprits, quitte à laisser son système infiltré par des ennemis redoutables. Alors quand une enseignante décide de lutter pour la laïcité et de déjouer ces tentatives sournoises de manipulation, elle se retrouve seule contre tous. Amal - Un esprit libre décrit méthodiquement une dérive sectaire qui mène au pire en conditionnant les terroristes de demain à l’idéologie salafiste. Lubna Azabal y trouve un nouvel emploi à sa démesure dans le rôle d’une enseignante héroïque confrontée aux jeunes proies malléables d’un prêcheur de haine d’autant plus diabolique que parfaitement intégré. Et si le film peut parfois sembler manichéen, c’est pour rendre intelligible son cri d’alerte au public le plus vaste possible. Il met à jour une mécanique implacable dont l’école est le terreau et qui échappe par bien des aspects à la vigilance d’une société civile trop absorbée par ses problèmes quotidiens pour s’investir sérieusement dans la protection d’un bien public inestimable considéré longtemps comme le rempart le plus efficace contre la barbarie. C’est cette citadelle assiégée que décrit avec une réelle audace Jawad Rhalib, dans la veine du Jeune Ahmed (2019) des frères Dardenne, mais cette fois du point de vue d’une enseignante qui se fait une très haute idée de sa contribution à l’éducation des citoyens de demain. C’est tout à l’honneur de ce film d’oser extirper les racines du mal sans angélisme.
Jean-Philippe Guerand
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