Accéder au contenu principal

“Vampire humaniste cherche suicidaire consentant” d’Ariane Louis-Seize



Film canadien d’Ariane Louis-Seize (2023), avec Sara Montpetit, Félix-Antoine Bénard, Steve Laplante, Sophie Cadieux, Noémie O’Farrell, Marie Brassard, Madeleine Péloquin, Marc Beaupré, Patrick Hivon, Micheline Bernard, Ariane Castellanos, Lilas-Rose Cantin… 1h30. Sortie le 20 mars 2024.



Sara Montpetit



Bon sang ne saurait mentir



On croyait tout savoir des suceurs de sang et de leur tradition. C’était compter sans la réalisatrice québécoise Ariane Louis-Seize (un patronyme plus facile à porter dans le Nouveau Monde que sur cette rive de l’Atlantique) qui revisite cette bonne vieille tradition sous un angle très insolite, sans convoquer pour autant les mânes de Nosferatu, Dracula et leurs semblables. Née dans une tribu digne de la famille Addams qui assume son statut ancestral, Sasha n’éprouve pas la moindre envie de perpétuer la tradition et de planter ses canines dans le cou de victimes innocentes choisies de façon aléatoire. Face à cette rébellion, elle se retrouve à la rue, tiraillée entre la nécessité d’assurer sa survie immédiate et son refus de mordre qui la condamne à plus ou moins brève échéance. Un heureux hasard la met toutefois en contact avec un jeune homme pour le moins dépressif qui souhaite mettre fin à ses jours. Ces deux-là semblent donc faits pour s’entendre et résoudre ensemble leurs cas de conscience respectifs. À ce détail près qu’un sentiment mystérieux les rapproche qui s’avère incompatible avec la ligne qu’ils se sont tracée. Ils semblent faits pour s’entendre, mais pas pour les raisons qu’on pourrait croire. Comme son nom l’indique clairement, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est une équation à deux inconnus qui transpose les suppôts de Satan dans une jungle urbaine où grouillent des déchets humains dignes d’un coup de dents bien placé. De quoi donner une raison d’être à Sasha et l’encourager à faire place nette sans scrupules inutiles. Bon sang ne saurait mentir. Et pourtant…



Félix-Antoine Bénard et Sara Montpetit



Faits l'un pour l’autre



Couronné de pas moins de quatre prix à la dernière Mostra de Venise où il était sélectionné dans le cadre de la Giornate degli autori, le deuxième film d’Ariane Louis-Seize s’impose par la personnalité de son personnage principal, une jeune fille en quête de pureté égarée dans un monde de brutes où elle ne parvient pas à trouver sa juste place. Au second degré, la réalisatrice s’y livre à une réflexion malicieuse sur ce cap si difficile à franchir qu’on qualifie d’adolescence, à défaut de pouvoir mieux le définir. Elle dispose pour cela d’une interprète idéale en la personne de Sara Montpetit, une brunette révélée par Charlotte Le Bon dans Falcon Lake qui a incarné entre-temps un rôle incontournable du répertoire local dans Maria Chapdelaine sous la direction de Sébastien Pilote. Combinant le trouble de l’un et le romantisme de l’autre, et aux antipodes du personnage baroque et extraverti interprété par Jenna Ortega dans la série TV Mercredi de Tim Burton, elle joue ici sur les deux tableaux avec la même aisance, en rhabillant un mythe fantastique vieux comme le cinéma ou à peu près et en assumant cette transgression étudiée. Parfois même avec le sourire, mais sans vraiment se moquer du mythe, car tel n’est pas l’objet de cette comédie pince-sans-rire. L’une des particularités du film consiste à pratiquer le mélange des genres sans jamais céder à la facilité et en montrant qu’il n’y a aucune malédiction qui ne puisse se conjurer par le simple usage du bon sens. Avec en filigrane un discours féministe de circonstance qui passe par une simple aspiration au bonheur combinée avec un besoin de rupture. Comme quoi l’esprit de subversion peut parfois s’avérer plus fort que la tradition la plus tenace.

Jean-Philippe Guerand







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...