Documentaire français de Christine Angot (2023), avec Christine Angot, Claude Chastagner, Léonore Chastagner… 1h21. Sortie le 20 mars 2024.
Christine Angot et sa fille
Les origines de la douleur
C’est à partir de sa vie que Christine Angot a bâti son œuvre. Comme pour essayer de comprendre ce qu’elle a vécu en en couchant les tours et détours sur le papier. Certains crient à l’impudeur, sinon au voyeurisme, d’autres la célèbrent comme une des grandes voix de l’autofiction. La vérité se trouve sans doute quelque part entre les deux. Catherine Corsini en a merveilleusement saisi la substance dans son adaptation d’Un amour impossible (2018), l’évocation du traumatisme primitif : les viols répétés dont elle a fait l’objet de la part de son père au cours de son adolescence, déjà évoqués dans L’inceste (1999), puis à nouveau plus tard dans Le voyage dans l’Est (2021). Avec Une famille, l’écrivaine signe elle-même un documentaire autour de cette thématique qui la poursuivra jusqu’à la fin de ses jours. De passage pour un salon du livre à Strasbourg où son père a passé les dernières années de sa vie, elle rend visite de façon impromptue à sa veuve pour lui demander des comptes sur ce qu’elle considère comme une non-assistance à personne en danger. La bourgeoise tente de lui introduire d’entrer chez elle, qui plus est avec une équipe de tournage, mais Christine Angot la contraint à l’écouter. Derrière son agressivité irrationnelle qui contraste avec l’impassibilité de cette bourgeoise de province permanentée affleure une douleur qui traverse ce film comme un leitmotiv tragique. Cette scène d’ouverture est d’ailleurs aussi son point d’orgue. Les rencontres qui suivent l’éclairent peu à peu. Angot y rencontre un à un les gens qui ont compté dans sa vie et auprès desquels elle cherche à comprendre ce qu’elle a traversé et pourquoi, quand elle se retourne aujourd’hui, c’est pour contempler un champ de ruines, toujours en gardant la tête haute.
Claude Chastagner et Christine Angot
Réparation impossible
Christine Angot aborde le cinéma comme la littérature à la hussarde. Elle n’y parle que d’elle et l’assume. Avec la complicité de la directrice de la photo Caroline Champetier à qui sa longue expérience a appris à frayer avec des fortes personnalités, de Godard et Rivette à Beauvois et Desplechin, mais aussi deux réalisateurs aujourd’hui remis en question, Benoît Jacquot et Jacques Doillon, elle multiplie les confrontations à haut risque émotionnel. Jusqu’à ce point d’orgue que constituent ses retrouvailles avec sa fille dont on comprend qu’elle occupe une fonction d’apaisement auprès d’elle dans une inversion des rôles assumée de part et d’autre qui intègre les récents acquis du mouvement #MeToo. C’est par sa spontanéité sans fard qu’Une famille nous entraîne dans un univers impitoyable qui n’est certes pas le nôtre mais qui y ressemble de près ou de loin. Angot y assume son agressivité comme sa détresse sans jamais chercher à se donner le beau rôle. Quitte à utiliser les images dérangeantes d’une émission de Thierry Ardisson dont elle a quitté le plateau et qui a bien failli l’inciter à renoncer à écrire… donc à vivre. Jusqu’à ses retrouvailles poignantes avec le père de sa fille auquel elle se confie avant qu’ils n’éclatent en sanglots l’un et l’autre. Avec une charge émotionnelle qui donne à ce film une rare authenticité, tout en plaçant le spectateur dans une position souvent inconfortable de témoin malgré lui. La réalisatrice omniprésente dresse ainsi un état des lieux du paysage après la bataille que fut sa jeunesse violée, volée et jamais cicatrisée. Comme pour essayer de se reconstruire en troquant son ordinateur contre une caméra et en passant de la fameuse solitude de la page blanche à cet art du collectif qu’est le cinéma, même quand il s’agit d’un documentaire tourné en équipe réduite. Le prix d’Une famille réside dans ce partage d’expérience assumé.
Jean-Philippe Guerand
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