Firebrand Film américano-britannique de Karim Aïnouz (2023), avec Alicia Vikander, Jude Law, Simon Russell Beale, Sam Riley, Eddie Marsan, Erin Doherty, Ruby Bentall, Bryony Hannah, Maia Jemmett, Patsy Ferran, Junia Rees, Anna Mawn, Amr Waked, Mia Threapleton, Paul Tinto, Edward Harrison… 2h. Sortie le 27 mars 2024.
Jude Law et Alicia Vikander
La dernière femme d’Henry VIII
À l’origine de ce film, il y a comme bien souvent un livre. En l’occurrence, un best-seller historique d’Elizabeth Fremantle qui s’attache à la dernière des femmes d’Henry VIII, Katherine Parr, la seule à avoir survécu à ce bourreau des cœurs qu’immortalisa naguère à l’écran Charles Laughton dans La vie privée d’Henry VIII (1933) d’Alexander Korda, mais aussi, et c’est moins connu, dans La reine vierge (1953) de George Sidney, avec pour partenaires respectives Everley Gregg et Deborah Kerr. Le jeu de la reine adopte le point de vue opposé dans une tentative singulière de réécrire l’histoire en faisant fi de l’influence présumée du patriarcat dans son traitement. Une initiative dans le sillage du mouvement #MeToo qui pourrait susciter des émules en rendant à certaines de ces dames une place plus conforme à la réalité et en rétablissant en quelque sorte une parité post mortem de nature à rééquilibrer les genres. Réputé pour la finesse de ses portraits de femmes dont La vie invisible d’Eurídice Gusmão (2019), le réalisateur brésilien Karim Aïnouz trouve dans cette approche disruptive une magnifique occasion de passer à la vitesse supérieure en prenant les commandes d’une production internationale prestigieuse. Il bénéficie pour cela d’une conjonction favorable qui passe en premier lieu par une équipe technique et artistique de très haute volée.
De l’usage du contrechamp
L’intelligence du Jeu de la reine consiste à reconsidérer la fameuse dynastie des Tudor d’un œil neuf, celui d’un cinéaste qui cumule deux spécificités que d’autres auraient pu tenir pour rédhibitoires dans ce contexte : c’est un homme et il est sud-américain. En contrepartie, le scénario est l’œuvre des sœurs britanniques Henrietta et Jessica Ashworth, tandis que l’image est signée par la directrice de la photo française Hélène Louvart et le montage assuré par l’allemande Heike Parplies. Autant de regards féminins pour affirmer un point de vue singulier sur une histoire qu’on croyait connaître, mais que l’inconscient collectif avait contribué à figer dans une tradition patriarcale aujourd’hui largement remise en cause par la simple vérité historique. En adoptant le point de vue de la seule de ses épouses à avoir survécu à Henry VIII (campé par un Jude Law magistral en souverain subclaquant et rongé de toutes parts), le film se contente en fait de lui rendre ce qui lui revient. De son côté, rompue aux emplois à haut risque depuis Danish Girl (2015), la comédienne suédoise Alicia Vikander ajoute à son tableau de chasse une nouvelle performance mémorable. Il s’agit enfin là d’une tentative de réécriture promise à de multiples variantes qui contribueront sans doute à faire sortir de l’ombre des femmes d’influence oubliées de la postérité. Vaste programme que ce parti-pris du contrechamp dont ce film ne constitue qu’un prélude prometteur !
Jean-Philippe Guerand
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