Inshallah Walad Film jordano-franco-saoudo-qataro-égyptien d’Amjad Al Rasheed (2023), avec Mouna Hawa, Seleena Rababah, Haitham Omari, Yumna Marwan, Salwa Nakkara, Mohammad Al Jizawi, Eslam Al-Awadi, Serene Huleileh… 1h53. Sortie le 6 mars 2024.
La soif du mâle
Le cinéma renvoie souvent un reflet aveuglant de la société qu’il dépeint. C’est même souvent le seul signe tangible que nous proposent certains pays repliés sur eux-mêmes. De la Jordanie, on ne sait que fort peu de choses. D’où l’intérêt sociologique d’un film comme Inchallah un fils qui pointe le poids du patriarcat à travers l’histoire pas si simple que ça d’une veuve et de sa fille unique confrontées à des lois où seuls les hommes peuvent contracter les héritages qui leur reviennent. Ce point de départ réel, le réalisateur Amjad Al Rasheed (détail essentiel, c’est un homme !) le pousse jusqu’à son terme en imaginant les efforts déployés par ses deux personnages féminins pour obtenir ce qui devrait leur revenir. C’est dire à quel point cette chronique dépourvue d’effets de style rencontre notre époque et souligne combien la route sera longue qui mènera à l’émancipation des femmes arabes aux prises avec un système archaïque. L’habileté du scénario consiste à montrer que l’arme la plus efficace contre l’injustice reste encore l’imagination, tout en soulignant à quel point le statut des femmes y perpétue des pratiques anachroniques, au moment même où bon nombre de pays civilisés accomplissent de louables efforts en faveur de la parité. Mais attention, il n’est pas à proprement parler question ici de féminisme, mais plutôt de souligner ce fantasme qui consiste à voir dans un nouveau-né mâle une bénédiction et à considérer les filles comme quantité négligeable… alors même que ce sont encore elles qui enfantent.
Un homme contre…
Inchallah un fils interroge davantage une situation qu’il ne juge ses protagonistes. Au-delà de son propos, le film porte un regard insolite sur une société qui se complaît dans ses traditions. Le personnage principal, cette mère contrainte de se prendre en charge pour élever sa fille, manifeste une détermination qui passe par des détails sur lesquels insiste à dessein la réalisatrice, à l’instar de sa volonté d’apprendre à conduire pour être libre de ses mouvements. Ce que revendique cette mère devenue célibataire malgré elle, c’est toutefois moins d’être considérée (là, il faudrait changer profondément la société) que de s’affranchir des règles en vigueur afin de pouvoir conquérir son indépendance, donc sa place à part entière dans une société où les femmes sont invisibilisées et considérées en conséquence comme quantité négligeable, du moment qu’elles restent entre elles et n’attirent pas le regard des autres hommes. Prix de la Fondation Gan à la diffusion et Rail d’or lors de la Semaine de la critique au Festival de Cannes, ce film impressionniste et dépouillé tourné pour une bonne part en extérieurs naturels à Amman au printemps 2022 est le premier long métrage du réalisateur Amjad Al Rasheed qui adopte un point de vue féminin et s’inscrit en tant que tel dans la lignée de la pionnière du cinéma saoudien, Haifaa al-Mansour (Wadjda, 2012), par sa volonté de représenter un carcan d’un autre âge, en mettant en scène des situations de la vie quotidienne moins banales qu’il ne pourrait y paraître au premier regard. Comme un cri d’espoir plus que de détresse qui rompt avec un silence trop longtemps contenu.
Jean-Philippe Guerand
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