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“Il reste encore demain” de Paola Cortellesi



C’è ancora domani Film italien de Paola Cortellesi (2023), avec Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano, Emanuela Fanelli, Giorgio Colangeli, Vinicio Marchioni, Francesco Centorame, Raffaele Vannoli, Paola Tiziana Cruciani, Yonv Joseph, Alessia Berela, Federico Tocci, Maria Chiara, Silvia Salvatori… 1h58. Sortie le 13 mars 2024.



Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea


Au nom des femmes


Certains films nous parviennent précédés d’une réputation écrasante. Tel est le cas d’Il reste encore demain, phénomène du cinéma italien plébiscité par cinq millions de spectateurs, soit davantage que les champions hollywoodiens Barbie et Oppenheimer. Un triomphe d’autant plus providentiel pour le box-office transalpin qu’il marque les débuts comme réalisatrice d’une comédienne populaire mais à peu près inconnue en France, Paola Cortellesi. Elle y raconte et y endosse le rôle d’une mère de famille victime de violences conjugales dans la société patriarcale de l’immédiat Après-Guerre. Un personnage érigé au rang de symbole national qui trouve un écho dans le mouvement #MeToo et a suscité en tant que tel un retentissement d’ordre davantage sociologique que cinématographique au sein d’une société confrontée à des traditions machistes d’un autre âge. Le retentissement de cette histoire simple s’explique avant tout par la face cachée de cette femme soumise qui encourage discrètement sa fille unique à refuser un avenir trop écrit de victime en donnant un coup de pouce salutaire au destin. Un discours moderne qui incite la cinéaste à inscrire son personnage dans la tradition des rôles que tenaient à l’époque des actrices aussi emblématiques qu’Anna Magnani ou Silvana Mangano. Elle a recours pour cela à un classicisme étudié et un usage du noir et blanc qui renforcent le caractère nostalgique de ce mélodrame assumé où les coups d’un mari macho se trouvent réduits à la manifestation du comportement banalisé d’un chef de famille tout puissant. Avec en guise d’ultime morceau de bravoure un dénouement qui confère à tout ce qui a précédé une signification particulière.



Emanuela Fanelli et Paola Cortellesi


À elles la liberté !


Paola Cortellesi a réussi la prouesse d’ériger un film délibérément populaire en phénomène de société et à offrir aux femmes un authentique objet de vénération en les incitant à briser la loi du silence. Elle opère pour cela avec une grande élégance et évite les scènes trop fabriquées au profit d’un usage efficace de l’ellipse. Malgré la gravité de son sujet, Il reste encore demain distille un espoir qui explique pour une bonne part son retentissement. Il met en scène une femme battue dont l’entourage connaît le sort, mais se garde bien d’intervenir et, à travers cette situation, dénonce une omerta redoutable qui continue à provoquer des ravages en garantissant aux bourreaux conjugaux une immunité ravageuse. Il agit comme un éveil des consciences dont le propos est malheureusement universel et met à profit à cette fin des situations banales, parfois même avec des pointes d’humour qui s’inscrivent dans la plus pure tradition de ce cinéma italien que nous avons tant aimé parce qu’il s’adressait autant à notre cœur qu’à notre esprit. La puissance de ce film vient du regard décalé qu’il porte sur une violence domestique nullement répréhensible, qui plus est exercée à l’abri du regard des autres dont les éclats n’échappent ici qu’à travers un soupirail et ne suscitent pas la moindre réaction. Au point de se demander comment le public d’aujourd’hui réagirait à certaines des chroniques du machisme ordinaire signées naguère par Pietro Germi, Dino Risi ou Ettore Scola sous couvert d’un humour parfois féroce. Paola Cortellesi s’élève en en reproduisant le style contre ces représentations surannées qui prenaient volontiers le parti d’en rire pour s’assurer du soutien du public. Avec un dénouement qui confère à tout ce qui a précédé une véritable dimension épique par son rappel historique édifiant.

Jean-Philippe Guerand







Paola Cortellesi (au centre)

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