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“Holly” de Fien Troch



Film belgo-luxembourgo-franco-néerlandais de Fien Troch (2023), avec Cathalina Geraerts, Greet Verstraete, Els Deceukelier, Robbie Cleiren, Karlijn Sileghem, Caroline Stas, Sara de Bosschere, Mistral Guidotti, Felix Heremans, Aminata Demba, Serdi Faki Alici, Maya Louisa Sterkendries… 1h42. Sortie le 6 mars 2024.



Cathalina Geraerts


Un être à part


Il n’y a parfois qu’un espace infinitésimal entre les saints et les sorciers. Le cinéma en déborde, à commencer par ces êtres doués de pouvoirs occultes auxquels on prête des facultés surhumaines sinon inhumaines. Ces croyances ancestrales ne cessent d’alimenter l’imagination des créateurs qui en ont tiré les ressources les plus inattendues. La réalisatrice belge Fien Troch transpose ce mythe à la peau dure dans une bourgade quelconque du plat pays qui est le sien. Holly, qui, comme son prénom l’indique, est une sainte à un “l” (une aile ?) près, s’est découvert un don de consolatrice qui lui vaut de se voir considérée par ses camarades de classe comme simplement bizarre, mais lui attire en revanche l’intérêt de tous ceux qui éprouvent le simple besoin d’aller mieux et croient au pouvoir des guérisseurs. Un paradoxe qui va se révéler particulièrement délicat lorsqu’un incendie va provoquer des ravages au sein de la petite communauté. D’un côté, certains ressentent le besoin de bénéficier de son don pour l’apaisement. De l’autre, elle s’attire la suspicion des amateurs de boucs émissaires, toujours prompts à accuser les autres de leur propre mal-être. Holly se situe aux antipodes des productions anglo-saxonnes et hispanophones qui ont forgé un sous-genre à part entière du fantastique autour des suppôts présumés de Satan. On est plus éloigné ici du grand-guignol de L’exorciste (1973), La malédiction (1976), Esther (2009) ou Annabelle (2014) que du naturalisme d’un spécimen du cinéma du réel comme Jacky Caillou (2021) de Lucas Delangle.



Cathalina Geraerts


Trouble et malaise


C’est le regard des autres qui confère à Holly son pouvoir d’empathie exceptionnel, à la suite d’un banal concours de circonstances qui alimente la rumeur. D’un personnage profondément altruiste en qui certains aimeraient voir une sainte, la rumeur publique va faire une menace, en vertu de cet axiome fondamental qui prétend que les sorcières sont destinées à être brûlées et alors même que c’est un incendie qui attise les passions. Un argument qui donne l’occasion à Fien Troch de brosser le portrait de groupe saisissant d’une communauté presque comme les autres où la simple addition de quelques individualités extrêmes et déraisonnables aboutit à une véritable chasse aux sorcières, au sens figuré et singulier de cette expression. Le film repose pour une bonne part sur la présence de sa jeune interprète principale, Cathalina Geraerts, à travers la façon dont la réalisatrice cadre ses yeux bleu perçant et lui donne pour meilleur ami un garçon visiblement atteint de troubles autistiques. Son regard ressemble d’ailleurs à celui que portent parfois certains cinéastes maladroits sur le handicap comme source de malaise. Ici, il est surtout question d’un supposé pouvoir surnaturel dont ne se manifestent que les effets supposés que chacun interprète en vertu de sa propre nature. La mise en scène joue à dessein de ce doute permanent pour distiller une réflexion plus vaste sur les méfaits et les dangers de l’opinion publique, Avec le soutien des frères Dardenne comme producteurs et du chef opérateur de Lukas Dhont, Frank van Den Eeden, fidèle à la réalisatrice depuis ses débuts. On aimerait maintenant pouvoir découvrir enfin ses quatre opus précédents, tous demeurés inédits en France.

Jean-Philippe Guerand





Cathalina Geraerts

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